Une férocité effrayante qui défraie la chronique, quand léger et presque palpable le champ de vision se rétrécit à mesure que les paupières se ferment. Voilà l'Autre Monde, voilà l'inconstante folie de l'être. Quand loin dans un non-lieu inconnu des plus grands, cette terre inexistante, terre sacrée des âmes déchues, la femme impertinente au gout amère et capricieux, apparaît plus vers l'avant, près d'un néon rouge qui grésille, là où elle n'essuie ni refus ni échec, la femme fait naître le fantasme en dansant près des pupilles rêveuses d'un démon qui n'a d'yeux (qui n'a Dieu...) que pour elle. Elle fait le tour d'une pièce qui n'a pourtant pas l'air d'être érigée au dessus de vraies fondaisons. Ni contours, ni matières, le flou fait d'elle la maîtresse d'un horizon de chimère. La Reine aux répliques assassines. Samuel se faufile, autant que faire se peut, entre les dessins d'un brouillard, qui trop épais et trop incertain, l'empêche d'attaquer les hanches qu'il veut empoigner. Alors, dans de vaines tentatives d empêcher que cela se passe ainsi, le plus vilain de ses cauchemars, se transforme en danse macabre, aux bras trop vaporeux à l'intérieur de sa tête pour les étreindre avec force. Une chute ineffable qui cogne son âme dans sa boite crânienne, rien ne sert de courir, elle lui échappe encore une énième fois. La chute prend fin dans un bourdonnement détestable, et avant que ses yeux ne sortent de leur orbite, Samuel les ouvre, et contemple le silence morne de sa chambre.

Sweet dreams are made of this...

Fils illégitime, union excécrable et damnée. Avant même de naître, il n'était plus que ça. La progéniture d'un homme marié, qui sans conscience et sans remords jouait le jeu le plus dégueulasse qui soit. La mascarade avait duré l'équivalent d'une décennie. Neuf années de double jeu, de masque de fidélité, de promesses jetées au vent, puis jetées au feu. Désagréable vérité donc, qu'on répugne et rejette avec force et conviction dès le moment où on l'attrape. Bête féroce e(s)t détestable, elle sème la colère où ses bras effleurent. Infamie parmis les infamies dont l'homme se fait un plaisir de collectionner les mal-faits, elle ne donne qu'un peu plus raison à ce que tout le monde sait : L'homme est un loup pour l'homme. En soi, l'homme est mauvais. Petit Samuel grandit en priant un père dans lequel il ne croit plus, Petit Samuel est un enfant qui en grandissant justement, sera désiquilibré, il y perdra son souffle, l'élan de la vie. Il se vautrera pitoyablement sur les pavés crasseux d'un destin humidifé par le coup de langue sortis tout droit de la gueule du Diable, et avec peine et désespoir ouvrira doucement les yeux sur l'abominable humanité. Histoire clichée, connue de tous, mais rares sont ces hommes qui auront fini par choisir leur maîtresse. Samuel sourit, sarcasme et ironie, tout ça pour quoi ? Avec sa mère non plus ça n'allait pas marcher.

Some of them want to use you
Some of them want to get used by you
Some of them want to abuse you
Some of them want to be abused

Effondré sur le dos, l'homme aux yeux bleus indicibles fixaient un point imaginaire au plafond de sa chambre, le sommeil allait l'emporter et il priait secrètement que cela se fasse en vitesse. L'impatience fourmillait au bout de ses doigts, l'aveuglait presque au coeur de cette folie passagère. Alors, et comme souhaité, des lucioles et des papillons commencaient à s'échouer doucement sur les rivages des paupières closent, l'heure de la désillusion avait sonné, Samuel Riley Mason allait assisté à son petit miracle personnel. Humble spectateur d'un autre lui-même, meilleur à bien des égards, il était assis confortablement dans un coin des limbes qui dominaient son subconscient. Quand dans l'obscurité, la demoiselle à l'expression ineffable apparaîssait quelques minutes plus tard, éclairée par les rayons d'un soleil vert. Il brillait au loin et sa faible lueur donnait une atmosphère incongrue à la scène qui se déroulait. Et entre hypnose et délire, Samuel sourit d'un sourire quelque peu mauvais, rictus presque effrayant, avant de faire un premier pas, vers ce qu'il aimait appelé, son cauchemard rêvé. Le fantasme le plus virulent qu'il soit. La Passion incontrolable des pulsions assassines. Il devint ombre dont la bouche murmure des paroles intelligibles, il devient le serpent tombé de l'Eden qui hypnotise et condamne la belle à un sort des plus excitant.

Sweet dreams are made of this
Who am I to disagree?
Travel the world and the seven seas
Everybody's looking for something

Le jour où son père s'installa avec lui et sa mère signa le jour du reste de sa vie. Samuel savait, avec la ferveur des croyants, que les choses n'allaient pas duré. Ce qu'il se demandait à revanche, constituait l'intégralité de ses peurs les plus enfouies. Quelle vie son géniteur avait-il laissé derrière lui ? Comment était cette femme, qui avait voulu de lui aussi longtemps. Quel ravage avait causé cet abandon. Et surtout, quel tempéremment se cachait, derrière le regard de cette adolescente, dont la photo souillait la poche intérieure de la veste de son père. Et le malin Samuel, se cachait derrière la porte de la chambre à couché de ses parents, et écoutait ce flot de paroles d'adultes lui parvenir, soupirait et fixait le sol, en s'imaginant la petite Emma, de quatre ans son aînée, pleurant son père, leur père, et sa petite mort. Une haine envers lui même germa dans son esprit, mauvaise herbe que son père avait fait poussé au creux de sa gorge. Et par pure besoin de prévention, il rejeta toute cette colère sur cette fille, cette chipie triste petite fleur dont il rêvera par la suite d'effeuiller les pétales.

I wanna use you and abuse you
I wanna know what's inside you

Sirène au chant dont l'écho seul crève les tympans, la femme à la silhouette provocante, le regarde du haut de son empire. Elle est celle qui détient les clefs, elle représente la Présence Pure, le désordre de pétale Rouge. Utopie de croire que l'on pourrait s'en débarasser, folie que d'imaginer l'emprisonner. Loin d'être une pourriture des bas fond, elle crache amèrement sur la gangrène qui lui baise les pieds. Elle est la silhouette qui vous devance chaque jour, pas après pas. Et à cet instant précis, sautillant presque à travers les hautes herbes du champ de l'imaginaire, elle passe un doigt sur sa lèvre frétillante, la mordant avec provocation. Petite enquiquineuse voulait jouer, petite enquiquineuse représentait la plaie qui ne cicatrise pas, la tendre douleur qui fait du bien, qui fait vraiment très mal : Tu me tues, tu me fais du bien. Poupée de cire, muse, artiste et oeuvre à la fois, Samuel lui cisèlera le coin des lèvres au scalpel, avant d'y déposer un fougueux baiser. Elle est son combat grandiose, là où la facilité le répugne, quand l'infime variation de son regard lui jette en plein coeur à quel point elle lui est désirable.

Hold your head up, movin' on
Keep your head up, movin' on

La fragrance inimitable de la mort remplie ses narines, Samuel avait commencé son travail à la morgue en tant que stagiaire il y avait peu de temps, mais déjà il sentait que quelque part cette vie était faite pour lui. Ici, il n'avait pas à faire à la bassesse des actes des hommes, à la petitesse de leurs pensées. Ici, il discernait le faux du vrai, et arrachait les masques superbes. Sans défenses et dans un total abandon, les entrailles de ses patients déployées sur la table, il ressentait comme une présence divine à ses côtés, quand il devenait ce prophète chargeait de redonnait une vie aux corps avant leur disparition. Parfois, durant ses longues heures dans cette pièce où les néons scintillaient d'une lueur fantomatique, il repensait à ce choix qu'il avait fait, de n'avoir jamais rien à voir avec cette femme dont il niait presque l'existence, sa dite demi-soeur. Il lui arrivait de fixer le corps d'une jeune femme que la mort avait fauché trop tôt sans doute, en essayant d'entendre le couinement étouffé que la bouche fermée gardait secrètement inaccessible, il cherchait dans le clapotis de l'eau du robinet fuyant les réponses à ses questions. Dans le silence des morts la voie à suivre. Il pensait à cette peur qu'elle lui inspirait, à l'heure qu'il redoutait le plus, où leurs regards allaient se croiser.

Movin' on!

Mélange de sang et d'encre, dans les tréfonds de son âme, Samuel s'accroupit et tendit un doigt en direction de cette flaque, et s'enfoncant tout entier jusqu'à ce que sa main entière soit plongée dedans, il se sentit basculé, tombé à l'intérieur de ce mélange comme l'on tombe dans un lac sans fond. Il reprit connaissance au même moment dans un lieu où les lumières vives s'agitaient pareilles à des lucioles aliénées. Il sentit un souffle sur sa nuque où perlait la sueur, il se retourna et au moment de saisir le corps de son martyre, elle avait disparut comme volatilisée. Le désert pâle de sa peau avait laissé une douce odeur dans l'air. Il y avait les effluves du désir qui lui taquinaient le nez, le noir dans toutes ces couleurs, l'absence de peur , l'élan à lui courir après. Un flot de sentiments comme une vague à l'âme plus qu'un feu ardent.