Mon père avait appris avec le temps à me détester. J'étais le dernier spermatozoïde actif qu'il avait sans doute jamais eu - vu que c'est la veille de ses 43 ans que ma mère l'a prévenu que il aurait un 4ème gosse dans plus ou moins 6 mois. Et quel gosse. C'est un peu comme un cadeau de Noël empoisonné, si vous voulez vraiment mon avis.

Je fus entouré donc d'une grande sœur - Emma - ayant tranquillement fini ses études (du haut de ses 22 ans, elle était déjà promise à devenir une brillante anthropologue) et de mes deux grands frères - jumeaux - âgés de 4 ans tout deux - Jarppi et Jukka - à ma naissance. Ce qui faisait donc trois grossesses plus ou moins espacées - l'une quasi-accidentelle, l'autre voulue et la dernière imprévue. Et de deux parents plutôt ... contradictoires. Ma mère était une femme calme et qui se contentait de ce qu'elle avait - secrètement très heureuse d'avoir un 3ème fils - contre un homme impulsif et désagréable à mourir - qui pensait avoir enfin la paix après J&J, les deux terreurs du quartier. Rien de moins, rien de plus. C'est eux qui m'ont appris la vie. Autant positivement que négativement. Voyez plutôt par vous-même.




- JUKKA LACHE TON FRERE!
- BATARD!
- THOR TU VEUX SURVEILLER TON LANGAGE!
- AIEUH PUTAIN IL M'A MORDU!
- TU L'AS CHERCHE! CREVARD!
- ESPECE DE CHIEN! C'EST PAS THOR QU'IL (...)

Ceci aurait pu continuer, si une unique voix n'avait pas retenti. Enfin, surtout si une main ne s'était pas levée. Nôtre père ne nous frappait pas souvent mais quand il le faisait, nous en étions rarement fiers. On avait l'habitude de se taper dessus, entre frangins, parfois plutôt violemment et peut-être qu'on s'était déjà cassé un truc ou l'autre mais, au moins on s'en relevait. Quand Daavid Ponsimaa s'en mêlait, s'était tout de suite moins clément. Et dans ces cas-là, ma mère se taisait, s’asseyait sur le côté et observait le vide pendant que mes deux aînés tentaient une approche de sauvegarde de leur petit frère - ils me protégeaient même si ça ne servait à rien, il finissait toujours par se rabattre sur moi. Emma n'en savait rien ou du moins essayait de l'ignorer du mieux qu'elle pouvait.

Mais je ne pense pas avoir eu une vie très compliquée. Nous n'étions pas pauvres, je dirais même que nous étions des gens plutôt aisés sans être riches pour autant. Il y a des gens qui meurent de faim, d'autres de soif, d'autres se font fusiller, pendant que certains se font violer et je t'en passe. Moi je me faisais taper quand j’exagérais - ce qui avec l'âge devenu très fréquent - et même que parfois, mon père essaya d'autres choses pour me calmer - comme la brûlure de cigarette, pas très agréable comme sensation. Mais je vais bien, ne vous en faîtes pas. ▬ C'est ce que vous dira mon frère pour toujours parce que sa pire crainte est de savoir qu'il peut être faible. Thor veut se voir comme fort. C'est un petit cœur charcuté qui s'est construit les meilleures rempares ; du moins il l'espère. Le mot de Jukka.




- Jarppi? Tu sais vraiment pas où est Thor?
- Quoi il est toujours pas revenu?
- Pourquoi je te le demande à ton avis? T'as quoi à la place du cerveau, toi?
- Merde. Tu crois qu'il aurait pu être enlevé?
- Tu rigoles, il a 26 ans.
- Il s'est ptête fait enlevé, violé, torturé, vendu en Afghanistan en tant qu'esclave, tout ça en 8 jours.
- Ton optimisme me rassure Jarppi.

Ils avaient réellement peur mes frangins. L'appartement que j'avais trouvé, dans le quartier le plus pauvre de Londres - j'avais décidé de m'éloigner de ma tant regrettée Finlande, mon père ne cessant son statut de paternel dominant et quasiment cruel que si je me tenais vraiment éloigné de lui. On s'était battus tellement violemment la dernière fois qu'on s'était vus que j'ai eu une hémorragie dans les poumons. De quoi refroidir l'envie de voir la famille. - venait d'être fermé tellement son état était piteux. Enfin, c'est ce qu'ils disaient à cause du bâtiment qui s’effondrait mais c'était pour moi la seule chose qui le rendait inhabitable. Mes frères avaient décidé de venir à leur tour emménager quelques mois plus tôt sur Londres afin d'augmenter les chances pour leur entreprise - un magasin spécialisé dans une de nos passions communes ; les sports extrêmes. Mais là, c'était le cadet de leurs soucis parce que justement, leur cadet à eux était sans doute en danger. Ils passèrent deux jours sans dormir après cette conversation, me cherchant dans tout Londres.

- JUKKA JE L'AI RETROUVE! JUKKA! JUKKA!
- CA VA, CA VA, JE SUIS LA! OH PUTAIN! Silence radio devant le corps quasiment nu et ensanglanté de leur frère tremblotant, dans le fond d'une ruelle puant la pisse, presque abandonnée, derrière quelques encombrants. J'appelle les secours, reste près de lui, tiens mets-lui ma veste et la tienne. Et prends mon pull aussi.

Je sentis l'étreinte de Jarppi et les vêtements encore chaud m'envelopper. Il me fit appuyer sur son torse et m'entoura de ses deux bras musclés. Il me murmurait l'une ou l'autre phrase rassurante au creux de l'oreille, autant que pour me réconforter que pour me maintenir éveillé.

- On t'a cherché longtemps, je sais pas ça fait combien de temps que t'es là mon grand mais dans tout les cas maintenant on t'a retrouvé, tu vois et là Jukka a appelé une ambulance, tu vas repasser un petit séjour à l'hôpital, à force, t'as l'habitude, autant parce que tu te bats que dans tes 1001 cascades improvisées ou dans tes sports ou dans n'importe quoi. T'es vraiment pas un cadeau mais on t'aime quand même parce que sinon on t'aurait laissé retrouver par les flics et tu sais bien les keufs, t'aurais eu le temps de crever mon gars.

Sa voix n'était pour moi qu'un lointain bourdonnement mais ô quelle douce musique était-il, ce bruit de fond. Ce ton que je connaissais tellement bien, celui de mon Jarppi, encore meilleur que ce Jukka entrain de hurler sur la réceptionniste que son petit frère était mort, pour les faire venir plus vite.
Six jours de ma vie s'étaient écoulés tranquillement, en vivant dans les rues. Et puis, un gang trouva intéressant d'attaquer ce nouveau SDF. En deux jours, le peu de personne qui croisèrent ce corps inerte qui était mien, préférèrent l'éviter. Ce qui, par la suite, me fit rapidement trouver du travail et un bon logement, après plusieurs semaines de convalescences. ▬ Je pense qu'il pleurait et qu'il me demandait de le tenir dans ses bras. Je n'ai jamais eu autant peur pour mon frère. Thor, c'est un connard dans son genre, mais croyez-moi, on s'y attache vite. Le mot de Jarppi.




Après toutes ces joyeuses péripéties et plusieurs engueulades avec mes frangins - et quelques verres d'alcool - je vis encore très bien. Après que ma colonne ait été cassée une troisième fois, mon boss m'a interdit de partir avec l'équipe qui s'occupait des sports trop extrêmes. Donc je bosse sur des trucs moins gros mais je m'amuse toujours à faire partie des cascadeurs quand je ne suis pas derrière la caméra. Tout les voisins de mon immeuble me connaissent et la plus part me détestent mais ça, on s'en fout. Profiter de la vie c'est bien, le reste... on s'en fout? ▬ Notre frère n'est pas n'importe qui. Et il ne se fait pas passer pour n'importe qui. Il s'est construit une identité hors du commun et ça fait de lui quelqu'un d'extraordinaire dans son genre, bien qu'il soit humain. Ce dernier point le fera couler comme tout le monde et il le sait. Le mot des jumeaux.