Suis-je en réellement en position de juger Armance pour son mensonge ? Cette éhontée cachotterie ? N’ai-je pas, moi aussi, regarder droit dans les yeux la femme que j’aime en lui jurant ma rédemption ? Ne suis-je pas, dès le lendemain et sans scrupule, tomber le nez dans la neige ?...Si…bien sûr….Le contraire m’auraient gardé loin de cet endroit. Je comprends ces intentions. C’est vrai. Quiconque à sa place n’aurait fait mieux. Tous, y compris moi, l’auraient imitée. J’en suis conscient. Mais malgré tout, je demeure excessif. J’imagine des scènes qui ne ressemblent ni à l’une ni à l’autre. Dasha convolant avec un autre bien plus fort que moi, alors qu’Armance s’amuse à caresser la lame de la guillotine sur ma nuque. Mon cœur rate un battement et mes respirations sont vaines. L’oxygène s’enraye dans sa course sans jamais atteindre mes poumons. Je me raisonne avec ardeur. Cette paranoïa n’existe pas, elle est somatique, elle nait de mon sevrage, elle n’est rien. Foutaises. Sornettes. Mes efforts sont vains, je me convaincs sans grand mal qu’il est une anguille quelque part sous un roc. Que me cache Armance ? Qu’a-t-elle peur d’avouer ? Certes, je peux comprendre mais cela doit-il sous-entendre que j’accepte ? En d’autres temps, je me serais peut-être tu. Acceptant le silence de mon amie et adresser un texto à ma dulcinée pour lui souhaiter bonne chance. Bonne chance pour son défilé qui, je le savais, est important pour sa carrière. En d’autres temps….aujourd’hui, j’en suis incapable.

Je ressens les premiers effets de mon sevrage non pas physique mais psychologique. C’est aujourd’hui, et les jours à venir, que tout se gagne ou se perds. Mes tentatives précédentes furent vouées à l’échec puisqu’à l’extérieur, la société a voulu conserver autour de moi de quoi céder à mes tentations. Qu’adviendra-t-il ici, dans l’enceinte de cet hôpital ? Pourrais-je me montrer belliqueux ? Désagréable à outrance ? Hausser le ton ?... Visiblement non. J’en oubliai simplement mes propres règles. Je me promis d’éviter tout contact physique avec cette jeune fille le soir ou, saoul, je lui confiai mes intimes craintes. Le soir où, saoul, son oreille attentive et son regard bienveillant, m’ont apaisés. Le soir où, saoul, mes lèvres furent inexorablement attirés par ses lèvres. Le soir où, je dus lutter pour ne céder à cette tentation. Je refusai tout contact. Une poignée de main, un baiser sur la joue, une accolade de remerciement. Rien. Jamais. A quoi bon offrir au bourreau le bâton pour me faire battre ? Jamais, sauf aujourd’hui.

La raison de mon inconstance m’est encore inconnue….Néanmoins, je conçois aisément ce climat détendu s’installant petit à petit entre nous. Cette chaleur que dégagent nos échanges. Son comportement est en tout point différent. Aux diables sa timidité et sa maladresse, elle semblait à l’aise, assise en face de moi dans cette cafétéria. Mes remerciements sont même parvenus à la faire sourire quand je me préparais plutôt à la voir rougir. J’avais confiance. Confiance en nous. J’en oubliai tout ce qu’ignore Dasha, tout ce que représente Armance. Certes, l’amour et le désir sont souvent complémentaires mais, ne peuvent-ils pas exister indépendamment l’un de l’autre ? J’en suis convaincu. Mon désir pour Dasha nait de mon amour sans limite, quant mon appétence pour Armance est fruit de ma curiosité. Pourquoi me dévisage-t-elle avec tant d’intensité ? Que lit-elle sur mes traits fatigués ? Que déchiffrent-elles dans mon regard brillant de question ? A quoi pense-t-elle dans cette approfondie contemplation ? Est-ce l’artiste photographe qui épingle mes traits dans sa mémoire où est-ce la femme qui considère la forme de mon visage ? Est-elle toujours avec moi ? Dupé et déterminé d’obtenir réponses à mes questions, je posai ma main blanchâtre et trop froide sur celle d’Armance sans prévoir sa réaction précipitée. Je l’ai froissée alors que mon geste s’était voulu anodin. Que peut bien représenter pour nous ce simple effleurement de la main quand nos échanges visuels sont si soutenu, intense, chargé d’une émotion indescriptible. Je ne saisis pas ses manières, je sais simplement que jamais je n’aurais dû. Jamais, pour notre bien à tous les deux.

Je lui présente pourtant de vaines excuses mais quel sens puis-je apporter à ma requête sans connaître ma faute ? J’hésite entre me taire et m’expliquer, choisissant de me justifier. Encore une fois. Comment fait-elle pour m’arracher tant de confidences ? Dasha peine tant à découvrir mes maux. Ma bien-aimée semble et demeure fragile alors qu’Armance dégage une force sans pareille, incomparable. Sa volonté n’a d’égale que sa beauté. Comment laisserais-je planer un quelconque doute ? Comment rester de marbre quand ses reins semblent assez solides que pour m’aider à supporter ma croix ? Inutile que s’installe un malentendu. J’ai besoin d’elle, de son aide. Comment pourrais-je m’en sortir si personne, à raison, ne croit en ma rédemption ? Pourtant, je me sens impuissant comme désarmé devant ce corps nerveux. Je m’emporte. Je sais qu’elle ne le mérite pas mais, je ne maîtrise plus mes émotions depuis qu’elles sont libérées de leurs camisoles chimiques. Je me découvre excessif moi qui suis capable d’un calme olympien. Adieu cocaïne, Adieu indifférence….

Je suis aveugle, aveugle à son incompréhension, à sa peine peut-être. Je délaisse son regard, mon médecin me défie du sien. La colère s’empare de mon être, mes nerfs tremblent de ma tête jusqu’à mes pieds. J’expire, je tente vainement de maîtriser cette ire remplaçant le sang coulant dans mes veines. Mon rythme cardiaque s’accélère. Ce n’est pas sa faute. C’est cet endroit, cette situation. Je veux partir, je veux un gramme de coke pour me libérer de cette histoire. Je veux mentir à nouveau, oublier cet overdose, reprendre ma vie où je l’ai laissé, embrasser mon addiction, suivre ma sirène mais avec vigilance, plus de vigilance, que personne ne sache, que personne n’apprenne. Je veux sortir d’ici et te laisser me fuir pour n’avoir jamais à déchiffrer ta déception… Je veux me maîtriser à nouveau. Jamais tu n’aurais été victime de mes assauts plastronnés de sarcasmes. Ô, si je m’étais montré moins gourmand, si j’avais pu conserver mon secret plus longtemps….tellement longtemps ! C’est maintenant que je vais replonger. Je le sens. Mon corps s’est remit à brailler et m’a tête a lâché prise.

J’allais la saluer avec véhémence mais je n’ose plus. J’aperçois ses pupilles embuées, ses joues inondées et constate qu’elle trouve encore la force de me sourire, nerveusement, certes, mais qu’importe. Je regrette. J’ai honte. Je reste coi et m’en veux d’avoir offert pareil spectacle à ce public impudent. Une fois de plus, j’aurais aimé me justifier mais elle ne m’en laisse pas le temps. Elle exprime, sans pudeur, les raisons de son émoi à mon contact, les explications de son malaise en ma compagnie, les arguments de sa maladresse… Bref, toutes les réponses à mes questions, me promettant qu’elle ne m’abandonnera jamais. J’ai peur de la toucher mais, je voudrais tellement n’avoir fait couler aucune larme de ses beaux yeux. Je repense à Dasha et son émoi lors de notre dernière discussion. Ne suis-je bon qu’à cela ? Faire du mal aux gens que j’aime et qui m’aiment ? Je déplace mon siège, m’installant à ses côtés et la somme de me regarder.

R : Il n’y a rien à voir dans ton thé.

Mon ton s’était voulu amical et une douceur avenante s’en dégageait. Je cherchais juste à la faire sourire

R : J’ai l’impression de passer ma vie à m’excuser. Tu vois, tu n’es pas la seule à faire preuve de maladresse…Tu n’as strictement rien à te faire pardonné. C’est moi qui suis bête et stupide. Je n’imaginais pas que tu puisses …euh…comment dire…enfin… que j’avais un quelconque effet sur toi… Je ne sais pas trop comment on appelle cela mais si ça peut te rassurer, dis-toi que ce sentiment est souvent partagé. C’est très difficile pour moi de connaître la limite entre ce qui m’est permis et ce qui m’est interdis en ce qui te concerne.

J’ai bafouillé, perdu mes mots, baissé les yeux, ris nerveusement et peut-être rougi un peu. Ai-je le droit pour la rassurer de lui confier la vérité ? Ne vais-je ajouter de l’huile sur le feu ? Je prends le risque. Je suis incapable, dans mon état, d’envisager les conséquences de mes faits et gestes ou de peser le pour et le contre de toutes choses.

R : Est-ce mal si je sèche moi-même tes larmes de mon pouce ? Si je dégage tes cheveux de ton front pour l’embrasser ensuite ? Ai-je le droit à pareilles attentions ? Ai-je le droit de me nourrir de ta passion, asséchant tes réserves, sans t’offrir en retour un peu de réconfort lorsque je te fais du mal ? Je ne sais plus s’il est préférable que je me montre ingrat ou au contraire, que je cède à mon instinct ?

Et j’ai soupiré, ne sachant comment agir face à ce bout de femme d’apparence si fort mais d’une fragilité sans lézarde.