jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir

(c) misery angel

P R EN E Z . M O I . T O U T
M A I S . L A I S S E Z . M O I . L'E X T A S E.
E T . J E . S E R A I . P L U S . R I C H E . Q U E . M E S . S E M B L A B L E S.
{emily dickinson}

je suis seule dans mon néant. j'occupe ma solitude avec d'autres gens seuls.
et je rêve. et je vis. et je lutte pour voir l'étincelle qui m'aidera à y voir clair.
sauf que je continue de marcher dans le noir, à l'aveuglette, certaine que ma vie a un sens.
mais je n'en peux plus d'être aveugle. je veux voir la lumière.
je veux pouvoir être sûre que mes lendemains ne vont pas s'écrouler et me faire tomber dans les enfers.
dans mon enfer. parce que j'ai trop lutté pour avoir l'illusion d'un semblant de paradis.
le néant m'effraie. je le comble comme je peux, avec qui je peux.
si vous trouvez une solution à mes questions, faites-moi un signe.
ou alors venez simplement combler mon vide désespéré. désespérant.
j'ai besoin d'air, j'ai besoin de vivre. j'ai besoin de vous.

rosi golan - hazy

Elle a des yeux indescriptibles. Un mélange d'azur, de vert et d'ambre qui se confondent et se modifient au grès de ses humeurs, de ses envies. Sa peau est pâle, diaphane. Elle n'a connu que le temps morne et pluvieux de Londres. Car oui, elle est née dans la capitale anglaise il y a vingt-trois ans de cela, le 13 octobre 1986. Elle esquisse un sourire. Ses lèvres sont pâles et gourmandes. Le reste de son visage ne paraît pas goûter à leur bonheur. Une tristesse infinie se camoufle sous ses traits souriants. Elle dégage une aura de mystère. On a envie d'en savoir plus sur elle. Mais elle se dévoile peu. Avec un peu de chance, elle vous dira son nom ; Jordan Kennedy. Mais vous l'appellerez Jo, elle préfère. On se rend alors compte que c'est un nom familier. Et puis on apprend que Jo est musicienne. Musicienne connue et reconnue, puisqu'elle fait partie du groupe des Rainbow Warriors. Groupe en vogue depuis peu. Oublié dans quelques temps. Ou intemporel, avec un peu de chance.

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir Fokx1g

(c) misery angel

J'OBSERVAI LE MONDE. IL AVAIT L'AIR NORMAL.

___La vie peut prendre parfois des tournures étranges. Les gens ont des rêves, les gens ont de l'espoir. Puis tout s'évapore et la réalité vous rattrape. Cette réalité qui vous tord les tripes à en vomir, un cauchemar éveillé pour ceux qui ne sont pas nés au bon endroit au bon moment. Pour ceux qui n'ont simplement pas de chance. Pour Jordan Kennedy, la vie n'a pas toujours été une partie de plaisir. Ce n'est pas un conte de fée, même si l'histoire commence également par « il était une fois ». Mais il ne faut pas vous attendre à y rencontrer des princes et des farfadets. Sauf peut-être dans vos rêves les plus fous...
___Il était une fois donc, il était un soir, dans une obscure rue de Londres, dans l'une de ces maisons peu habitables, peu fréquentables, la vie a été donnée. Londres, mois d'octobre. La pluie tombait et un brouillard épais s'étendait sur la belle capitale anglaise. Des cris se sont faits entendre dans une maison close. Ceux d'une femme d'abord, puis ceux d'un nouveau-né. Au milieu d'autres cris indescriptibles, dont on ne pouvait dissocier plaisir et douleur. C'est dans ces circonstances que Jordan est née. Et c'est dans ces circonstances qu'elle allait devoir vivre la première partie de sa vie. Première et misérable partie si l'on peut dire. Si vous vous demandez ce qu'est le mode de vie de la progéniture d'une prostituée accroc à la coke et de son dealer, vous allez pouvoir en juger par vous-même. C'est peut-être bien plus horrible que vous ne vous l'imaginez. Bien qu'avec les années, la petite Kennedy ait appris à en rire. Il ne restait d'ailleurs plus que ça à faire. Que voulez-vous, c'est l'ironie de la vie. On naît dans l'une des plus belles villes d'Europe, celle qui offre le plus grand nombre de possibilités, celle qui vous ouvre toutes les portes. Celle qui peut réaliser vos rêves les plus fous. Et vous commencez par survivre dans un taudis. Un taudis dont les murs décrépis étaient prêts à s'écrouler à tout instant. Infesté de rats et de cafards. On ne peut pas dire que ce mode de vie ait véritablement plu à cette petite fille autrefois si innocente. Et elle l'a rapidement fait comprendre...

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir Ba4e858102fc581d5e12ccfe357aa92ca5962ed3_m

(c) fffound

PART 1.

je suis un handicapé de l'âme, ma vie est une grande moquerie, un petit machin sans intérêt.

| henri loevenbruck |

décembre 2000
vauxhall, londres
résidence kennedy

Londres, toujours. Décembre cette fois-ci. Une averse comme on en voyait peu tombait sur le ville éclairée aux lumières de noël. Période chaleureuse de l'année, synonyme de présents, de famille, d'amour et d'entraide. Noël réchauffe les cœurs et les esprits ? Eh bien pas partout semble-t-il. Les débordement d'amour à en vomir n'étaient pas une tradition chez les Kennedy. À vrai dire, les jours se suivaient et se ressemblaient tous. Cris, disputes, objets brisés, coups. Le tout amplifié lorsqu'ils avaient assez d'argent à la fin du mois pour s'offrir une petite bouteille de whisky. Ou d'autres choses bien moins saines. Et puis il y avait ces jours où son père s'absentait, – pour faire son trafic ou voir ses maîtresses, peu importe - que Jordan appelait « vacances ». La maison était plus calme, seuls les sanglots de sa mère se faisaient entendre. Et elle se sentait bien plus rassurée. Pourtant, elle ne restait jamais enfermée chez elle. L'ambiance de ce qui était censé être son foyer n'était pas des plus réjouissantes. Il lui arrivait d'ailleurs souvent de traîner dans les rues des heures durant, retardant le plus possible l'heure à laquelle elle devrait retrouver son enfer personnel. De toute façon, personne ne s'en souciait. Jusqu'à ce qu'ils la voient rentrer et qu'ils se rappellent qu'ils avaient une fille. Pour les punitions, par contre, son père était doué. Créatif, sadique. Il n'avait jamais aucun remord concernant sa fille. De toute manière, il n'avait pas voulu la garder, lui. Elle n'était qu'une erreur de plus, une preuve de plus qu'il n'était qu'un déchet et qu'il ne valait pas grand chose. Il voyait en elle sa propre dégénérescence. S'il avait honte, c'était bien de lui-même. Mais il ne faisait rien, non rien, pour tenter de se sortir de cet enfer. Il avait depuis longtemps abandonné ne serait-ce que l'idée d'essayer. Jordan, quant à elle, n'était pas prête à suivre ses traces.

En cette nuit de décembre, elle se faisait donc à nouveau attendre. Son but n'était pas d'enrager ses géniteurs, ou peut-être qu'il y avait aussi un peu de ça. Elle voulait simplement goûter encore quelques instants à sa liberté provisoire. Là où personne ne lui dictait sa conduite, à errer dans les rues de Londres sans que personne ne lui demande des comptes. La jeune fille avait bien des amis dans sa classe. Mais elle ne les voyait pratiquement jamais. Solitaire dans l'âme. Solitaire dans sa propre expérience de vie. La présence des autres ne l'aidait en rien, si ce n'est à se souvenir qu'elle était toujours aussi seule. Qu'une fois chez elle, elle affronterait à nouveau seule l'ivresse de son père et le regard impuissant et désolé de sa mère. Celle qui l'avait voulue mais qui ne s'était jamais véritablement occupée d'elle. Jordan lui en voulait. Elle lui en voulait même plus que ce père qui la haïssait ouvertement et la battait dans ses crises de désespoir. Dans ces moments où la haine contre soi et l'humanité ressort d'une manière peu honorable, et pourtant, d'une certaine manière, légitime. Oui, elle lui en voulait. Elle avait honte et aurait à son tour, voulu hurler sa détresse au monde. Mais le monde n'écoute jamais, c'est bien connu. Alors, elle restait là, au milieu de cette rue déserte, consciente de la pluie qui coulait sur sa peau nacrée, désirant inconsciemment qu'elle nettoierait des plaies plus profondes que celle encore visible sur sa paume glacée. Jordan aimait la pluie. D'une certaine manière, elle effaçait tous ses problèmes. Et puis, quand il pleuvait, on ne faisait pas attention à ses larmes. Elle se sentait comme protégée par cette barrière invisible qui la séparait des autres. Et elle pouvait rester des heures sous cette averse glacée, jusqu'à ne plus rien sentir du bout de ses doigts. Jusqu'à ne plus sentir la douleur des coups de la veille. Dans ces moments, même la douleur au creux de sa poitrine paraissait diminuer. Pourtant elle le savait, ce n'était que temporaire. Celle-ci reviendrait. Plus forte et plus cruelle encore. Ça ne s'arrêterait jamais. À moins qu'elle décide un jour d'y mettre un terme. Et là encore, elle n'était sûre de rien. Elle ne faisait qu'espérer. Et jusqu'à présent, l'espoir ne l'avait menée qu'à la déception. Si elle continuait ainsi, sa vie allait finir par anéantir chacun de ses rêves. Elle ne voulait plus rester spectatrice de sa chute. Elle voulait se retenir à quelque chose, devenir quelqu'un. Ou au moins devenir elle-même, se trouver. Elle était loin d'imaginer que se trouver soi-même demandait autant de temps et de sacrifices. Et personne n'était jamais sûr d'y arriver.

Ce soir-là, donc, n'était pas si différent d'un autre. C'était une nuit londonienne, une pluie londonienne, une vie pourrie à la Kennedy. Et Jordan avait lentement entreprit le chemin du retour, sachant pertinemment ce qu'elle allait y retrouver. À peine la poignée de la porte avait-elle été ouverte que les échos lointain d'une dispute parvenaient à ses oreilles. De l'eau dégoulinait lentement de ses cheveux et vêtements détrempés, le sol craqua sous ses pas qu'elle voulait discrets. Son regard se posa sur le miroir sale, brisé, au milieu du couloir. Il lui envoyait une image tout aussi brisée, lui confirmant une fois de plus que sa vie ici ne se résumerait qu'à cela. Cris et angoisses. Elle voyait le film de sa vie future défiler sous ses yeux comme si elle l'avait déjà vécu. C'était comme ces films que l'on se voit forcés à voir durant les cours, dont les images sont insupportables mais dont on ne peut détacher le regard. Jordan n'en voulait pas. Elle leva ses yeux d'azur sur l'homme qu'elle appelait père. Il l'avait entendue rentrer. Et à son habitude, sa démarche était peu sûr, oscillante. Son regard vitreux, ses yeux et son visage rouges, l'odeur d'alcool rance qui émanait de lui. Tous les symptômes de sa cuite du soir. Soirée normale, encore une fois, dans la demeure Kennedy. Les cris à l'encontre de sa fille n'avaient pas le moindre sens. Il ne prenait même pas la peine d'articuler ses phrases. Il les crachait à sa fille sans remords. Puis il finit par ne plus savoir quoi dire. Alors les insultes habituelles commencèrent à pleuvoir en même temps que les coups de sa ceinture bon marché. Jordan les encaissa, comme toujours. Parfois, son regard se perdait dans le couloir, se posait sur sa mère en pleurs qui n'osait s'approcher plus. Celle-ci fit demi-tour dans la cuisine lorsqu'elle aperçut les yeux de sa fille posés sur elle. Les yeux fermés désormais sur une obscurité presque apaisante, elle attendit que son père se soit défoulé. Quelques minutes, peut-être plus. La jeune fille était accroupie au milieu du couloir, seule à nouveau. Seule avec sa peine et les infimes battements de son cœur qui reprenaient un rythme normal. Il lui fallut un moment avant d'ouvrir à nouveau les yeux puis se rendre à pas de loups dans sa chambre. Le calme était tombé sur leur foyer. Son père avait dû s'endormir. Sa mère avait dû aller travailler. Jordan avait donc un moment de répit. Mais jusqu'à quand ?

Qui sait si c'est à ce moment-là que tout se fit clair en elle. Si c'est là qu'un semblant de lumière vint traverser son obscurité habituelle, son éternel enfer. Elle ne savait d'où lui venait cette idée, ni si elle allait marcher. Et encore moins si elle était bonne. Tout ce dont elle était sûre, c'est qu'il lui fallait agir vite. Son regard traversa rapidement ce qui avait été sa chambre durant quatorze ans. Une fenêtre dépolie qui donnait sur une ruelle sombre. Des murs dont le papier-peint aux couleurs boisées se décollaient avec lenteur. Un vieux lit, donc le matelas était troué à plusieurs endroits et quelques affaires qui traînaient ici et là. Elle ramassa son sac à dos, celui qu'elle utilisait pour aller en cours. Elle le vida sur le sol et commença à assembler ses affaires. Habits, argent reçu grâce à quelques baby-sittings et autres services, affaires de toilette. Elle descendit dans la cuisine. Son père était affalé sur la table, une bière à la main. Les ronflements emplissaient la pièce, camouflant le bruit des armoires qui s'ouvrent et se referment en hâte. Elle avait récupéré un peu de nourriture, simplement au cas où. Elle était loin de se rendre compte que ces maigres réserves allaient véritablement lui servir jusqu'à la dernière miette. Un dernier regard à son père. Mélange de mépris et de pitié. Plus jamais elle ne reverrait ce connard, elle en faisait le serment.

Pas un mot. Pas un bruit. La porte était restée entrouverte. Jordan était simplement partie.

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 16s029

(c) misery angel

PART 2.

You're open to the skyline, you won't want to go back home. In a garden full of angels, you will never be alone. But oh the road is long, the stones that you are walking on have gone. With the moonlight to guide you, feel the joy of being alive. The day that you stop running is the day that you arrive. And the night that you got locked in was the time to decide.
Stop chasing shadows, Just Enjoy The Ride

| Morcheeba |

eddie vedder - hard sun

juillet 2003
west brompton, londres
bord de la tamise
- neel rainaert -

Londres. Mois de juillet. Des rayons de soleil fins et délicats se posaient sur la ville encore endormie. Un début de journée plutôt agréable après les semaines de pluie passées. Les gens allaient se lever, prendre leur petit déjeuner, déposer les enfants à l'école, travailler. Une journée bien normale en somme. Monsieur et madame Tout-le-monde ne se rendaient pas compte de ces autres vie parallèles. De ces autres, qui vivaient une vie aux abords de la société, des marginaux si vous préférez. Ceux que l'on ne comprend pas au premier abord, ceux qui nous dérangent parce qu'ils ne gagnent pas leur argent comme tout le monde. Vous les connaissez, c'est le mendiant de la rue d'à côté, toujours agenouillé près de sa boîte en carton. Ou encore la prostituée qui vous offre un clin d'œil alors que vous la croisez à la tombée de la nuit. Ce sont ces malchanceux, ces déshérités et autres condamnés de la vie. Ceux qui n'avaient pas eu le choix. Ou s'ils l'avaient eu, celui-ci s'était trouvé entre deux misères différentes. De deux maux, on choisit bien souvent le pire. Parce que l'humanité aime à se voir condamnée, aime s'auto-détruire pour tout et pour rien. Et c'est donc avec un regard condescendant, de pitié écœurante, que les gens baissaient les yeux sur la vermine des beaux quartiers. Oui, ce matin-là ressemblait à tous les autres. Et dans les rues londoniennes, déjà emplies de voyageurs matinaux, marchait cette jeune fille qu'on n'osait regarder, qu'on n'osait toucher par peur de se faire contaminer. Mais elle, elle s'en fichait. Elle marchait, le sourire dans le cœur, le cœur au bord des lèvres, faisant scintiller ses yeux comme le soleil faisait scintiller les vitrines des magasins de haute-couture et les pâtisseries sentant le pain chaud et les viennoiseries fines.

Voilà plus de deux ans que Jordan avait quitté son domicile. Elle avait fugué, c'était en tout cas le mot couramment utilisé. Mais elle préférait dire qu'elle s'était envolée vers la liberté. Celle-ci était chère payée, certes, mais plus jamais elle n'avait reçu un seul coup. Sa peau de porcelaine en portait encore les marques, lui rappelant chaque seconde qu'elle avait fait le bon choix. Que même si aujourd'hui encore elle en payait les conséquences, elle n'aurait plus à vivre pareil enfer. Désormais, son enfer quotidien était différent. Ce serait bien sûr mentir de dire que les premières semaines qui ont suivi sa fuite n'aient pas été difficiles. Il faisait froid, la nourriture lui manquait, ses économies s''amenuisaient et elle n'avait toujours pas trouvé d'endroit où s'installer. Les gens lui refusaient le moindre job parce qu'elle n'avait que quatorze ans. Trop jeune pour travailler, trop fière pour retourner dans sa famille, trop perdue pour réfléchir correctement. Mais un jour, elle avait croisé ces gens étranges. Ces personnes qu'elle n'avait jamais osé approcher, par crainte peut-être. Mais ces clochards des temps modernes l'avaient immédiatement intégrée. Pour ainsi dire adoptée. Elle faisait partie de leur petite communauté, de leur grande famille. Il y avait ce vieillard aux lunettes rafistolées qui paraissait fou parce qu'il racontait plein d'histoires à tue-tête, même lorsque personne ne l'écoutait. Il y avait cette dame aux allures de bourgeoise du XIXème siècle. Elle était hors de son temps, hors norme tout simplement. La quarantaine, cette élégance dans le regard. Cette beauté perdue qui, pour une raison inconnue, avait terminé sa vie dans la rue. Et puis ce musicien, à peine ivrogne. La vingtaine, les cheveux d'un blond presque blanc au regard clair et profond. Lui et Jordan avaient un jour fait un pari stupide alors qu'il avait trop bu. Elle avait gagné sa guitare, il lui avait appris à en jouer. Et puis il y avait tous ces autres, des gens qui avaient vécu d'horribles choses, ceux qui les racontaient, ceux dont on en devinait l'horreur et la peine dans le regard. Beaucoup noyaient ces deux choses dans l'alcool, espérant qu'ils les laisseraient tranquilles. Quand Jordan demandait si cela marchait, ils répondaient toujours la même chose ; « ouais, dans tes rêves. ».

Elle était la plus jeune de cette bande d'incongrus. Du moins, lorsqu'ils l'avaient accueillie, c'était le cas. Les gens venaient et repartaient, on ne savait trop d'où ni dans quelle direction. Ils n'avaient aucun compte à se rendre. Ils s'entraidaient, étaient là les uns les autres. Pour tous ceux qui étaient présents. Penser plus loin, pour ceux qui n'étaient plus là, était une perte de temps et d'énergie. Et durant tout ce temps, Jordan les a suivis, de squat en squat, de rue en rue. Ne pouvant travailler, elle a parfois mendié. Honteuse au plus profond d'elle-même, elle allait de temps à autres voler dans un magasin, lorsque les temps se faisaient durs. Et grâce à ce fameux pari, il lui arrivait de jouer aussi un peu de musique dans les rues. Dans le métro également, quand les jours se faisaient trop froids. Lorsque le vent lui mordait les mains et l'empêchait de gratter ses cordes. Mais elle ne baissait pas les bras. Elle aurait pu abandonner dès le début, retourner dans un foyer chaud, là où elle était au moins sûre d'être nourrie et en bonne santé. Mais les effets secondaires d'une pseudo vie normale ne lui donnaient aucune envie de retourner sur ses pas. Au moins, dans les vieilles baraques décrépies, en compagnie des fous qui l'entouraient, elle se nourrissait de chaleur humaine, d'histoires rocambolesques, de compassion et d'indépendance. C'était la vie qu'elle apprenait. Chaque jour était fait de nouvelles surprises. Parfois mauvaises. Très souvent même. Comme cette nuit où la jeune pyromane shootée à l'héro avait fait une overdose. Ou encore quand les autorités ont mis la main sur un trentenaire fuyant ses impôts. La vie était injuste, mais Jordan apprenait à la comprendre, lentement. Elle était une adolescente comme une autre, tentant d'assimiler toutes les désillusions de la vie. Et pourtant si différente. Il lui arrivait parfois de rêver d'une vie normale. D'une vie où elle se rendrait à l'école, sècherait les cours en feignant une maladie quelconque, retournerait à la maison, au chaud, aux bras de vrais parents aimants. Lorsqu'elle se réveillait de ces rêves-là, il n'était pas rare qu'elle ait à essuyer ses joues humides. Mais elle était là, elle tenait bon. Et elle finirait pas sortir de ce trou et réaliser ses rêves.

Mais pour en revenir à ce matin de juillet, Jordan ne faisait que flâner dans les rues, sans but particulier. Elle longeait le bord de la Tamise, marchant lentement, bercée par cette eau sombre qui s'écoulait à ses pieds. Elle ne faisait attention à rien, si ce n'est à ses propres pas. Puis, alors qu'elle marchait, son regard se posa sur une silhouette au loin. C'était un jeune homme d'à peu près son âge. Appuyé sur le muret qui longeait le fleuve, il fixait un point invisible, en face de lui. Son visage n'avait rien d'exceptionnel au premier abord. Mais ses yeux reflétaient quelque chose de bien plus profond qu'une simple curiosité à l'encontre du bâtiment qui lui faisait face. Son regard était énigmatique, Jordan n'aurait su dire ce qu'il exprimait réellement. Peine ? Indifférence ? Il semblait également perdu d'une certaine manière. En tout cas, cela suffit pour attiser la curiosité de la belle anglaise. En quelques pas, la voilà qui se trouvait à ses côtés. Mais il n'eut pas un seul regard vers elle, pas un geste qui eut signifié qu'il avait remarqué sa présence. Il continuait de regarder devant lui. Jordan sortit alors du tabac de sa poche, des feuilles à rouler, et se confectionna une cigarette. Tandis qu'elle la terminait, elle s'adressa à lui d'un air tout à fait décontracté. « Tu fumes ? » Il hocha lentement la tête. Elle lui tendit la cigarette, et alors qu'il la prenait, il la regarda enfin. Ses yeux vrillèrent les siens. L'étrange vide qu'elle y vit en faisait le regard le plus intense qui lui ait été donné de voir. Il y avait à la fois une profondeur, une histoire. Et un néant abyssal à faire tourner la tête. Jordan fut coupée un instant dans son élan, mais elle se reprit. Elle lui tendit un briquet et se roula ensuite une cigarette pour elle. Pourquoi était-elle venue aborder cet inconnu si étrange, elle n'aurait su le dire, mais elle sentait qu'elle devait le faire. Ce n'était plus une envie, c'était un besoin. Plus que de la curiosité, elle avait senti qu'il était vital qu'elle en sache plus sur lui. Et tandis que chacun était reparti dans ses pensées, leur tabac se consumant lentement, elle releva les yeux vers lui. Il semblait toujours accaparé par quelque chose qu'elle ne pouvait voir, qu'elle ne pouvait même imaginer. « Tu attends quelqu'un ? » Il hocha la tête en signe de dénégation. Décidément, pas très bavard. Mais tout cela était trop étrange pour qu'elle ne parte sans avoir eu un mot de sa part. « Alors qu'est-ce que tu fais là, à observer cet immeuble ? » continua-t-elle. Il y eut quelques secondes de silence, puis enfin une réponse. « Je sais pas. » De la fumée s'échappa de ses lèvres. Jordan écrasa son mégot tandis qu'il se tournait à nouveau vers elle. Il semblait avoir repris ses esprits, bien que son regard paraissait encore un peu lointain. « Il faut que je trouve un endroit pour la nuit. » Jordan haussa les sourcils, légèrement surprise. « T'as pas de maison ? » demanda-t-elle. Ce à quoi il répondit : « Je suis pas sûr... » Son ton était à la fois incertain mais assez catégorique pour qu'elle n'ait pas l'idée d'en demander plus à ce sujet. « Très bien, finit-elle par dire. J'ai un endroit à te montrer. C'est pas le grand luxe mais ça suffira pour la nuit je pense. » Elle lui adressa un sourire, auquel elle jurait qu'il avait répondu, bien qu'imperceptiblement. Jordan prit donc la direction de l'endroit où elle vivait, suivie par cet inconnu étrangement fascinant.

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 24y9u9d

(c) misery angel

PART 3.

Will you help me fall apart
Pick me up, take me in your arms
Find my way back from the storm
And you show me how to grow
Promise of a lifetime

| Kutless |

ryan adams - come pick me up

octobre 2003
paddington, londres
queensway station, underground
- h. luke windsor -

Le mois d'octobre arrivait à son terme, amenant l'hiver avec lui. Synonyme de pluie, d'humidité, de brises glacées. Un temps à vous figer sur place, difficile à supporter, même lorsqu'on y était habitué. Ce serait le quatrième hiver que Jordan passerait dans les rues de la capitale anglaise. Oui, cela faisait bientôt trois ans qu'elle avait fui sa maison, son foyer. Et elle rêvait de pouvoir s'en sortir. De trouver un véritable travail, de trouver un autre endroit où dormir. Elle aimait la liberté dont elle jouissait à présent, et ce, depuis tout ce temps. Cependant, une vie normale lui manquait également. Elle était loin de se douter que cette vie de misère prendrait fin très bientôt.

Ce jour-là, il faisait bien trop froid pour jouer dans les rues même de Londres. De fines gouttelettes de pluie tombaient, et Jordan ne connaissait que trop bien la sensation de jouer alors que l'eau glacée s'infiltre peu à peu dans les vêtements, dans la guitare, dans l'étui qu'elle avait déposé sur le sol pour que les gens y versent un peu de leur argent. Argent qui finirait noyer sous quelques millimètres d'eau. Elle était donc descendue dans le métro. Les odeurs n'étaient pas toujours des plus agréables, les passants pressés étaient rares à la remarquer. Mais peu importait, elle était à l'abri. Elle frotta alors ses mains l'une contre l'autre. Un fin nuage de vapeur s'échappa de ses lèvres. Elle empoigna ensuite sa guitare et les notes s'envolèrent peu à peu dans l'obscurité des souterrains. Dans ces moments-là, elle ne faisait même plus attention à ce qui l'entourait. Plus rien ne l'importait vraiment. Et cette journée aurait pu être comme n'importe quelle autre s'il n'y avait pas eu cet inconnu qui s'était arrêté pour l'observer. Jordan le vit du coin de l'œil, debout à quelques mètres seulement, il la regardait avec un intérêt tout particulier. D'ordinaire, ça ne la dérangeait pas, au contraire. Mais elle sentit alors la gêne lui monter tandis que le jeune homme la regardait. Lorsque Jordan eut fini de jouer son morceau, elle releva la tête. Il lui adressa un sourire auquel elle répondit timidement. Sans un mot, il s'approcha et laissa tomber quelques pièces dans son étui. Puis toujours sans lui adresser la parole, il partit en direction de la sortie du métro.

Plusieurs jours passèrent ensuite sans que Jordan ne revoit cet inconnu. Mais son visage était resté gravé dans sa tête. Le regard qu'il lui avait porté. Sans se l'avouer, elle aurait aimé le revoir à nouveau. Et c'est ce qui finit par arriver. Un jour, alors qu'elle jouait à nouveau dans la même bouche de métro, elle le vit passer. Il s'approcha et ne lui laissa même pas le temps de réagir. « Je peux t'offrir un café ? » Un peu prise de court, Jordan marqua un temps de réflexion. « Non merci. Je vais rester ici. » À vrai dire, elle en avait envie. Mais elle avait tendance à être trop méfiante. Ce que l'on pouvait comprendre de quelqu'un qui vivait dans la rue depuis longtemps déjà. « D'accord. » répondit-il sans ajouter quoi que ce soit. Puis il repartit. Jordan fut quelque peu étonnée. Elle s'attendait à ce qu'il insiste, ne serait-ce qu'un peu. Mais non, il était parti sans demander son reste. Ce à quoi elle ne s'attendait pas, c'était qu'il revienne quelques minutes plus tard, deux cafés à la main, sortant apparemment tout droit du Starbucks le plus proche. Jordan ne put s'empêcher de sourire à cette attention. Il lui tendit l'un des gobelets en demandant : « Tu ne vois pas d'inconvénient à le boire ici alors ? » Pour toute réponse, elle prit le café avec un sourire de remerciement. Un court silence s'installa entre eux puis Jordan finit par reprendre la parole. « Jordan. Moi c'est Jordan. » « Et moi Luke. » répondit-il. Ils échangèrent un sourire et engagèrent la conversation à proprement parler.

novembre 2003
paddington, londres
the black lyon, café
- h. luke windsor -

it's a new dawn. « Viens habiter avec moi. » Jordan faillit s'étouffer en avalant une gorgée de sa bière. Luke et elle étaient seuls à une table, dans un pub plutôt bruyant. Cela faisait plusieurs jours désormais qu'ils s'étaient présentés et allaient régulièrement boire un verre ou faire un tour ensemble. C'était une compagnie qu'elle appréciait énormément. Et elle ne savait pourquoi, sa méfiance à l'égard de Luke était rapidement retombée. Elle se sentait libre de lui raconter tout ce qui lui passait par la tête sans avoir peur d'être jugée. Sans avoir peur qu'il ne la laisse si elle lui racontait tout sur elle. Et la réciproque était vrai. En bref, elle se sentait simplement bien en sa présence. Et pourtant, elle n'était pas sûre d'avoir bien compris. « Excuse-moi, tu peux répéter ? » « Je veux que tu viennes vivre avec moi. » répéta-t-il avec le plus grand sérieux. Elle n'en croyait pas ses oreilles. Mais il ne paraissait pas plaisanter. Cependant, elle n'eut pas le temps d'ajouter quoi que ce soit. « Écoute, je sais que ça paraît stupide. On se connaît pas depuis longtemps. Mais... » Luke marqua une pause et la regarda droit dans les yeux. Jordan n'osa dire un mot, elle attendit simplement qu'il termine ce qu'il avait à dire. Sans le quitter des yeux. « Mais je supporte pas de te voir vivre là-dehors alors que j'ai de la place pour une deuxième personne chez moi. Je...je me le pardonnerais jamais s'il t'arrivait quoi que ce soit. » it's a new day. Jordan sentit la chaleur lui monter aux joues. Probablement parce que c'était bien la première fois que quelqu'un s'inquiétait autant pour elle. À vrai dire, elle ne savait quoi répondre. Son être entier lui disait qu'elle devait le faire, que de toute manière, elle n'avait rien à perdre. Et c'était vrai. Elle n'avait pas un train de vie spécialement enviable. Et on lui offrait enfin une chance de remonter la pente. Et puis une autre chose jouait dans la balance. Elle avait beau le connaître depuis très peu de temps, Luke lui inspirait plus que de la confiance. C'était quelque chose de bien plus fort dont elle ne s'était pas encore rendue compte. Du moins jusqu'à présent. it's a new life. Jordan leva les yeux vers lui. Mais au lieu de lui répondre, elle se pencha lentement en avant et déposa ses lèvres sur les siennes. Il répondit tendrement à ce baiser, et elle sut alors qu'elle avait pris la bonne décision. Et le soir-même, elle emménageait chez lui. Faire ses bagages ne lui prit pas beaucoup de temps, car il s'agissait simplement d'un sac à dos avec quelques vieux vêtements et d'une guitare. for me. Désormais elle le savait,elle allait vivre une nouvelle vie.

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 2wpo3le

PART 4.

Le rire comme l'amour sont deux phénomènes irrationnels et fugitifs.

| karine tuil |

counting crows - colorblind

mai 2006
notting hill, londres
logement windsor&kennedy
- h. luke windsor -

Il y avait ces cris qui résonnaient dans l'appartement. La colère et la déception s'insinuaient en elle, montaient en flèche, lui faisaient dire des choses qu'elle ne pensait pas. Ses yeux humides livraient un dur combat pour ne pas laisser échapper de larmes. Ses lèvres pâles tremblaient et elle sentait en elle un désarroi grandissant. Jordan ne savait plus quoi faire. Elle allait à nouveau échouer, elle n'allait pas pouvoir l'aider comme il l'avait fait pour elle. Peut-être s'accrochait-elle à une illusion. Peut-être que c'était ridicule, pathétique de vouloir encore essayer. Peut-être que c'était déjà trop tard. Son regard s'était détourné, elle s'était tue et avait tourné les talons. Le voir à nouveau dans cet état la rendait malade, il valait mieux pour eux qu'elle s'éloigne. Mais Luke ne l'entendait pas ainsi. En quelques pas, il l'avait rejointe, l'avait attrapée par le bras. La pression de sa main était douloureuse, mais ce n'était pas la raison du regard noir qu'elle lui lança. Ce n'était pas la raison des larmes qui coulaient déjà le long de sa joue. « Luke, lâche-moi. » Sa voix tremblait. Ce n'était pas un ordre, mais une demande. Ses yeux vrillaient les siens, sans y rencontrer la lueur de celui qu'elle aimait. Il n'était plus lui-même, plus vraiment. Comme à chaque fois qu'il se laissait tenter par cette douce poudre blanche. Il devenait violent, perdait le contrôle. Et bien qu'il ne la frappait jamais, Jordan ne pouvait s'empêcher de sentir cette angoisse monter en elle. Comme dans une impression de déjà-vu. Et tandis qu'elle se dégageait, elle tentait de déchiffrer le regard de celui qui avait été son ange gardien. Celui qui paraissait n'être parfois que l'ombre de lui-même. Et le manège recommença. Le ton monta à nouveau. À se demander s'ils entendaient vraiment ce que l'autre disait. Luke en avait marre de se faire dicter sa conduite. Jordan n'en pouvait plus de le voir agir aussi stupidement. Il lui disait qu'elle pouvait s'en aller si elle le voulait, qu'il ne la retiendrait pas. Elle lui rétorquait que c'était probablement mieux que de rester avec quelqu'un comme lui, qui n'avait aucune force de caractère. « Tu n'es qu'un égoïste ! Tu es pitoyable et grotesque ! Tu t'enfonces toujours plus et t'es même plus capable de voir à quel point tu es tombé bas ! » Et tout s'arrêta soudain. Il avait levé la main. Jordan sentait la brûlure sur sa joue, plus cuisante que jamais. Les larmes s'arrêtèrent elles-mêmes de couler. Son regard n'était même plus empli de colère ou de tristesse. Il était emprunt de cette incompréhension, de cette déception qui fait plus mal qu'une quelconque insulte. Le temps paraissait s'être arrêté. Elle le dévisageait sans comprendre. Il paraissait lui-même surpris de ce geste. Et alors qu'il s'avançait d'un air de regret, Jordan recula, hors de portée. Pour elle, tout était clair. Il n'était plus le même. Il ne le serait plus jamais. Alors elle se dirigea jusqu'à leur chambre, prit un sac de voyage, quelques affaires. Luke paraissait perdu. On pouvait voir qu'il tentait de s'excuser mais que ce qu'il avait pris ne lui rendait pas vraiment les idées claires. Il fallut quelques minutes encore pour que Jordan ait fini de rassembler ses affaires, puis elle prit la direction de la porte d'entrée. Il l'arrêta, d'un geste qui se voulait doux cependant. « Jo' attends. Je... » Mais elle ne lui laissa pas le temps de terminer. « Je sais. Moi aussi je suis désolée. » Et elle sortit de l'appartement sans regarder en arrière, de peur peut-être de regretter son geste. Dehors, le soleil brillait. Le printemps montrait le bout de son nez et tout paraissait respirer le bonheur autour d'elle. Ça ne fit que renforcer cette impression de vide qu'il y avait désormais en elle. Ce sentiment lui oppressait la poitrine, l'empêchait de réfléchir normalement. Ses yeux étaient plus humides qu'à l'ordinaire. Mais tandis qu'elle traversait la rue à grands pas, personne ne semblait la remarquer. Personne ne remarquait cette jeune femme dont la vie venait une fois de plus de prendre un tournant inattendu.

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 34dikg3

(c) misery angel

PART 5.

Le moment présent a un avantage sur tous les autres : il nous appartient.

| charles caleb colton |

death cab for cutie - a lack of color

juillet 2007
camden town, londres
logement de jordan kennedy
- neel rainaert -

Une lueur filtrait par la fenêtre. Elle éclairait le parquet recouvert de vêtements divers. Une vague odeur de tabac flottait dans l'air, le silence n'était interrompu que par deux respirations lentes, encore endormies. La lueur grandissait, et un corps frêle, gracile, se dessina. À peine recouvert d'un drap, la tête posée sur le torse du jeune homme avec qui elle avait apparemment passé la nuit. Tout semblait calme, les deux amants encore ancrés dans un sommeil profond, se trouvaient probablement à des lieues d'ici, dans des songes inaccessibles. La fenêtre était entrouverte, les rumeurs de la rue s'intensifiaient à mesure que le jour se levait. Les voix et les pas de passants, les moteurs de voitures, les sonnettes de vélo, les sonneries de portable, les rires des enfants. Le klaxon d'une voiture résonna pendant quelques secondes juste sous la fenêtre ouverte. Il dura juste le temps de parvenir à ses oreilles à elle. Ses paupières se mirent à battre lentement, son corps s'agitait. Finalement, elle ouvrit les yeux. Premier contact avec le monde réel. Vision brouillée, probable gueule de bois qui se profilait, un frisson lui indiquant qu'elle était dévêtue, la bouche pâteuse. Puis le contact chaud contre son corps, une douce respiration qui lui parvenait, sa main qui s'élevait lentement et s'abaissait en même temps que sa poitrine. Il était là, allongé à ses côtés, profondément endormi. Tout lui revint en mémoire aussi vivement que si quelqu'un avait filmé la scène. Elle était rentrée chez elle après sa soirée, il l'attendait, comme convenu. Avait-il bu lui aussi ? Il en avait l'air, à vrai dire, elle n'en était même plus certaine. Ce détail ne lui avait pas paru important. Puis ils étaient montés à son appartement. Un peu de musique, une bière, une discussion. Rien de bien méchant. Mais c'était sans compter le fait que Jordan ne se sentait plus elle-même. Ou peut-être n'était-ce pas le terme approprié. Alors était-ce qu'elle perdait tous ses moyens ? Que l'alcool ingéré cette nuit-là n'aidait pas à la rendre plus lucide ? Ça paraît plus probable. Elle se rappelait son visage, ses regards, ses gestes, ses sourires. Cette aura énigmatique et séductrice. Cette personnalité mystérieuse et attirante. Il n'y avait pas que l'alcool qui la rendait fébrile. Il n'y avait pas que l'alcool qui avait fait grimpé l'adrénaline et fait monté le désir. Elle le revoyait s'approcher, elle sentait encore cette sensation qui remuait son estomac, qui faisait s'emballer sa poitrine et qui nouait sa gorge. Elle sentait encore ses lèvres sur les siennes, leurs doigts qui s'entrelaçaient, le temps qui semblait avoir stoppé sa course. Une éternité dans une seconde, un moment qu'elle aurait voulu faire durer encore et encore. Leurs souffles brûlants se mêlaient, leurs corps s'enlaçaient. C'était d'une harmonie parfaite, une véritable symphonie de formes et de couleurs. Jordan n'avait plus conscience de rien, si ce n'est de sa peau contre la sienne, de cette soudaine envie passionnée qui la prenait aux tripes et ne la lâchait plus. Il ne leur avait pas fallu beaucoup de temps pour migrer du canapé à sa chambre. Les vêtements enlevés, le lit défait. Détails futiles qui s'étaient accomplis avant qu'elle n'ait le temps de s'en rendre compte. Le désir la brûlait, la dévorait. Il paraissait tout aussi fébrile. Leurs gestes tremblants de passion étaient pourtant doux et mesurés. Le moment semblait avoir été répété, tant l'osmose était parfaite. Osmose qui se répéta encore et encore, comme une mélodie dont on ne se lasse pas. Jusqu'au petit matin où les deux amants finirent par s'endormir.

Jordan était encore étendue, la tête reposée sur son torse, se repassant les images de la soirée comme dans un film en accéléré. Tout paraissait irréel, déjà si lointain. C'était comme un rêve, et la voilà qui retournait à la réalité. Une migraine naissante s'insinuait afin de le lui rappeler. La douleur, le meilleur moyen de ramener quelqu'un dans la dure et triste réalité. Mais était-elle si dure que ça ? Après tout, elle avait passé une nuit agréable, bien plus que ça même. Et elle se réveillait à ses côtés, lovée dans ses bras. Que demander de plus ? Pourquoi ne ressentait-elle pas l'euphorie, le bonheur qu'on est censé ressentir après de tels instants ? À mesure que ces questions l'assaillaient, son mal de crâne s'intensifiait. Elle ferma les yeux un instant, prit une grande respiration, puis se leva avec douceur, veillant à ne pas le réveiller. Il parut s'agiter un peu dans son sommeil, mais semblait tout de même paisible. Il dormait si profondément, son visage n'exprimait que quiétude et apaisement, contrastant avec ses cernes, nettement visibles. Ce sommeil profond dans lequel il semblait plongé ne devait pas être quotidien. Du moins ce n'était qu'une supposition. Il ne lui avait pas raconté grand chose sur son retour. Il ne lui parlait pas beaucoup de lui-même en général d'ailleurs. Seulement par sous-entendus, par indices. Jordan ne pouvait que deviner qui il était, ce qu'il était devenu. Mais ce mystère qui aurait pu être agaçant se révélait en fait intriguant. Elle ne pouvait s'empêcher de vouloir en savoir plus. En douceur cependant, sans le brusquer, sans insister. Elle respectait ce silence. Tout le monde a ses petits secrets, elle la première. Son esprit revint au moment présent, ses yeux balayèrent l'espace de sa chambre, cherchant ses vêtements. Ils étaient éparpillés un peu partout, elle jugea préférable d'en changer, de prendre une douche avant. Peut-être que ses idées seraient plus claires. Peut-être qu'elle ne sentirait plus cette boule dans le ventre et cette sensation oppressante au creux de la poitrine. Peut-être. L'eau chaude, presque brûlante, fouettait sa peau avec force. La vapeur emplissait déjà la pièce, elle ne voyait même plus à un mètre devant elle. Jordan resta de longues minutes ainsi sans bouger, les yeux fermés, laissant l'eau couler sur elle sans esquisser le moindre geste. Ses pensées étaient tournées vers lui, allongé dans la pièce d'à côté. Et elle avait beau regarder sous tous les angles, elle ne savait pas encore quoi en penser. Quoi, n'avait-elle pas l'habitude de ramener des hommes dans son appartement ? N'avait-elle pas déjà eu des histoires sérieuses depuis sa rupture avec Luke ? Une petite voix dans sa tête lui affirmait qu'il n'y avait pas de comparaison possible. La situation était différente, la personne concernée était différente. Ses sentiments étaient différents. Il lui fallait l'admettre, ce n'était pas n'importe quelle conquête qu'elle avait laissé pénétrer dans sa vie. Il n'était pas n'importe quel inconnu. La nuée de vapeur s'épaississait, sa poitrine devenait plus oppressante. Elle se sentait étouffer. Sa main appuya sur l'arrivée d'eau, le silence s'installa. Que lui arrivait-il ? Pourquoi son corps paraissait accepter la situation alors que le reste de son être la repoussait de toutes ses forces ? Ce tiraillement la perturbait, sa tête lui semblait sur le point d'exploser. Elle enfila un short et un t-shirt plutôt large, pas vraiment le genre que l'on met pour sortir. De toute évidence, ce n'était pas dans son intention.

D'un pas lent, elle sortit de la salle de bain, sans bruit. Elle ramena ses cheveux encore humides en arrière puis prit quelques affaires qu'elle avait laissé traîner sur la table. Un peu de tabac, qu'elle agrippa entre deux doigts et posa sur une feuille qu'elle avait déjà sortie d'un geste habitué, totalement décontracté. En quelques mouvement, la cigarette était roulée, prête à se consumer. Jordan fit quelque pas en direction de la fenêtre du salon, l'ouvrit en grand et s'assit sur le rebord. Elle actionna son briquet et trempa le doux bâton de nicotine dans la chaleur de la flamme. Elle aspira profondément, sentit la fumée descendre dans sa gorge, lui monter à la tête. Puis celle-ci ressortit entre ses lèvres entrouvertes, se dissipant peu à peu dans l'air froid du matin. Une vague glacée s'engouffra dans la pièce, répandant pourtant une douce odeur de pain frais et de viennoiseries venant de la boulangerie d'en face. Le temps semblait morne, quelques rayons de soleil parvenaient à se frayer un chemin parmi les nuages épais qui recouvraient la capitale anglaise. Rien ne laissait présager que l'été avait déjà pris place, que le mois de mai était terminé et que la chaleur allait se faire plus intense. Non, la seule chose dont on pouvait être sûr, c'était qu'une averse était imminente, accompagnée des rafales communes à Londres. Mais le froid ambiant ne la perturbait pas. Jordan observait la marée de maisons et d'immeubles qui s'étirait devant ses yeux. Pour n'importe qui, cette vision grisâtre, morne, lugubre et brumeuse à souhait pouvait paraître déprimant, repoussant. Mais elle aimait cette ville. C'était sa ville, et personne ne pouvait rien y changer. Lorsque les gens ne voyaient que le mauvais temps et les immeubles sinistres, Jordan y voyait le soleil qui se cachait derrière les nuages, elle y voyait la vie derrière les fenêtres sales et abîmées. Ce n'était pas juste une ville, c'était un état d'esprit d'être londonien. Et elle aimait ça. Autant que l'air glacé qui fouettait sa peau et emmêlaient ses cheveux. Autant que la pluie sous laquelle elle allait parfois se réfugier. C'était une lubie incompréhensible pour beaucoup. Mais c'était sa lubie, personne ne la lui enlèverait. Et c'est pourquoi elle ne se voyait pas passer sa vie ailleurs. Voyager, voir du monde, bien entendu. Mais Londres était ses racines, c'était sa vie. Peu la comprenaient sur ce point.

Jordan contemplait l'horizon, portant parfois la cigarette à ses lèvres d'un geste machinal, sans vraiment y penser. Elle s'empêchait consciemment, ou inconsciemment peu importe, de regarder en direction de la porte de sa chambre. Repliant ses jambes et ramenant ses genoux contre sa poitrine, elle se pinça la lèvre inférieure en songeant qu'elle n'avait pas envie de le réveiller, qu'elle avait envie qu'il reste là des heures durant. Ou des jours, peut-être même plus encore. Mais ce n'était pas raisonnable, pas entièrement. Pas encore. Et elle se secoua la tête pour en chasser ces idées. Et au moment même, un craquement lui indiqua qu'elle n'était plus la seule éveillée dans la maison. Elle reporta la cigarette à ses lèvres, le regard obstinément tourné vers l'extérieur. Le parquet grinçait sous ses pas, il était entré au salon. « C'est parce que je bouge trop que t'es pas restée couchée ? Ou peut-être parce que je tire toute la couverture ? » Le ton n'avait rien d'accusateur. Faire de l'humour dès le réveil, ça lui ressemblait bien. « Non, c'est plutôt parce que tu ronfles et que tu pues des pieds. Fais gaffe, c'est le genre de trucs qui font fuir les filles. » Une nouvelle bouffée de nicotine et elle se tourna pour le regarder, esquissant un semblant de sourire. Il avait simplement enfilé son caleçon. Ses cheveux étaient en bataille, une barbe de quelques jours apparaissait. Son visage n'exprimait rien de précis, il était totalement indéchiffrable. Si ce n'est qu'il affichait un léger sourire en coin, lui donnant un air insolent, presque arrogant. « Bizarre. Personne ne s'était jamais plaint avant. » « C'est que je dois être difficile. » Elle avait répliqué sans réfléchir, automatiquement. Tentant de garder un visage impassible, elle porta la cigarette une dernière fois à ses lèvres avant de l'écraser sur le rebord de la fenêtre. Leurs regards s'entrecroisaient, sans ciller. Ils paraissaient se jauger, se juger. C'était comme ce jeu auquel les enfants s'amusent où celui qui baisse les yeux a perdu. Ils restèrent ainsi quelques instants, puis, trop indécise pour réagir, Jordan détourna le regard, se mordant la lèvre, quelque peu mal à l'aise. Lorsqu'elle se retourna, il avait disparu. Un bruit dans sa chambre lui fit comprendre qu'il était à la recherche de ses vêtements. Elle se releva, s'éloignant peu à peu de la fenêtre, avançant dans sa direction. Arrivée près de la porte, il en ressortait, complètement habillé cette fois-ci, son blouson à la main. « Tu pars ? » Question idiote s'il en est. Cela paraissait évident. Rien dans son regard ne laissait transparaître quoi que ce soit qui aurait pu l'inciter à rester. Il ne prit même pas la peine de lancer une réplique sur un ton sarcastique. Il se contenta de lui adresser un sourire, s'approcha et déposa un baiser sur son front. « À plus tard. » Le temps de réaliser, la porte s'était refermée sur sa silhouette. Et quelque chose continuait de la tirailler. Le soulagement qu'elle espérait au moment de son départ n'arriva pas. Pire, la boule dans sa gorge s'était resserrée. C'était quelque chose de perturbant au possible. Et elle resta plantée devant la porte quelques temps encore, pensant qu'il reviendrait sur ses pas. Mais la porte resta bel et bien fermée. Jordan se dirigea à nouveau vers la fenêtre. Son regard se porta dans la rue. Elle l'aperçut enfin, sa silhouette traversant la route sous une fine pluie qui commençait à tomber. Puis il tourna au coin de la rue et disparut de son champs de vision. Elle resta là, encore, faisant abstraction du froid qui s'intensifiait ainsi chargé d'humidité, faisant abstraction de ce qui l'entourait ou de l'heure qu'il était. Elle tentait de démêler ses pensées. Enchevêtrées, brouillées, indéchiffrables. Mais elles avaient toutes ce même point commun : Neel.

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 5dpk3o

PART 6.

If I lay here
If I just lay here
Would you lie with me
And just forget the world.
Chasing cars

| Snow Patrol |

juillet 2007
camden town, londres
regent's park
- neel rainaert -

Son regard fixait le ciel. Il n'y avait pas un nuage en vue, il était d'un bleu limpide, presque irréel. Une immensité claire, enivrante dans la quelle on pouvait plonger sans réfléchir. Un brise légère s'était levée, agitant les feuilles des arbres alentour, courant sur la pelouse et faisant s'envoler les pétales de ces fleurs qu'elle dépeçait une à une. Jordan était allongée dans l'herbe, au cœur de Regent's Park. Elle entendait des gamins jouer un peu plus loin, près du lac. Elle passait ses mains sur la pelouse parfaitement tondue, attrapant les fleurs survivantes à la coupe de printemps, jouant comme une enfant à en retirer les pétales et à les voir s'envoler dans les airs. Puis ses yeux retournaient se fondre dans le bleu du ciel. Ça sentait bon l'été qui approchait, même si le mois de juillet à Londres n'était pas d'une chaleur exceptionnelle. Quoique ce jour là, la température était particulièrement douce et clémente. Une odeur de hot-dogs lui parvenait, mêlée à celle des fishs and ships, venant du stand d'en face. D'autres rires retentissaient tandis que la voix d'une mère sermonnant son fils dominait les autres momentanément. Cette atmosphère de béatitude était étrangement agréable et Jordan ne pensait plus à rien, si ce n'est à se détendre. Elle ferma les yeux un instant, profitant du moment, se laissant bercer. Les rayons du soleil traversaient ses paupières closes, formant un halo rougeâtre. Plus rien ne l'atteignait, rien n'aurait pu la déranger. Jusqu'à ce que quelque chose vienne se placer au-dessus d'elle, formant une ombre l'empêchant du profiter du soleil. Celle-ci aurait pu être éphémère. Un passant qui ne faisait que traverser le parc, surgissant momentanément et disparaissant aussi soudainement. Mais l'ombre s'attarda, et ce seul détail lui fit comprendre qui était cette personne. Elle n'ouvrit pourtant pas les yeux. Un sourire s'attarda sur ses lèvres cependant. « Tu veux bien te bouger, tu me caches le soleil là. » N'ayant aucune réponse, elle entrouvrit un œil pour observer Neel qui faisait de même. Un air malicieux dessiné sur ses traits, probablement une once d'insolence également. Jordan soutenait son regard, chacun tentant de déchiffrer l'expression de l'autre. Peut-être aussi ses pensées, ses émotions. Ce qui était bien impossible. Tous les deux gardaient une impassibilité étonnante, perturbante. « Tu sais qu'il y a des bancs de libre là-bas ? » Pour toute réponse, Jordan lui adressa un sourire digne d'une pub pour dentifrice et lui indiqua d'un geste la place à côté d'elle. Après avoir échangé encore un de ces regards dont eux seuls avaient le secret, Neel se plaça à ses côtés, s'allongeant également sur le dos, en plein cœur du parc. Jordan cessa presque immédiatement de jouer avec l'herbe autour d'elle, posant sa main sur la sienne, entremêlant ses doigts avec les siens, caressant sa paume, son poignet, le dos de sa main. Sans vraiment y réfléchir, machinalement, les yeux toujours fixés sur le ciel. Il faisait de même, son regard dans la même direction. Un silence complice s'était installé, que rien ne venait troubler. Ils ne se parlaient que par gestes, leurs doigts s'entrecroisant encore et encore sans raison apparente. Jordan se sentait totalement détendue, paisible. Malgré ces petites agitations au creux de son ventre, de sa poitrine. Aucun souci à se faire, c'était normal, tout à fait habituel. Du moins ça l'était en sa présence. Et que penser de cette sensation alors ? Que penser de leur relation ? Où tout cela les mèneraient-ils ? Quelque part, elle avait la certitude de ne plus pouvoir faire machine arrière. Une petite voix cependant lui murmurait que ce n'était pas une sage idée. Cette voix diminuait au fil des jours, étouffée, écrasée par celle qui lui disait d'avoir confiance, de se laisser guider. La quelle écouter ? Que faire ? Et de toute manière, arriverait-elle à le repousser ? Les jours précédents, Jordan avait joué du chaud au froid, avait hésité, faisant un pas en avant, puis deux en arrière. Neel comprenait-il ce qu'il se passait ? En aurait-il marre de ce comportement ? Il paraissait pourtant patient, comme s'il avait saisi que ce pas de danse que Jordan effectuait à l'aveugle, n'était pas un jeu. N'était pas volontaire. Tous ces signaux contradictoires n'avaient pas pour but de le pousser à bout. Elle voulait être sûre, elle voulait comprendre. Elle voulait savoir.

Le temps filait lentement, sans qu'ils n'en aient véritablement conscience. Elle finit pourtant par détacher son regard du ciel et le diriger dans sa direction, l'observant en silence, l'évaluant sans un mot. Ses yeux imprimaient chaque parcelle de son visage, s'arrêtant à ses lèvres, ses yeux. Elle semblait analyser chaque détail, tentait peut-être de trouver une faille dans laquelle elle aurait pu s'immiscer, n'importe quoi qui aurait pu lui permettre de résoudre l'énigme, le mystère qui l'entourait. Peut-être aussi essayer de deviner toutes ces choses qu'il ne lui avait pas dites, tout ce qu'il avait vécu, tout ce qu'il avait vu, tout ce qu'il avait ressenti. La réponse était si proche, et paraissait pourtant si loin. Chaque fois qu'elle pensait en saisir une partie, tout le reste se dérobait sous ses doigts et s'éloignait. À cette pensée, elle resserra inconsciemment son étreinte sur les siens, ce qu'il remarqua, bien évidemment. Il tourna la tête à son tour, posa son regard sur elle, interrogateur. Il la regardait de cette façon intense, pénétrante, dont il avait le secret. « Quelque chose te tracasse ? » Jordan se tourna sur le côté, se mordillant la lèvre inférieure, les sourcils froncés. Elle semblait réfléchir, douter. « T'es au courant que tu as des cernes immenses ? » Neel se tourna également, dans la même position, lui faisant face. Un rire léger s'échappa de ses lèvres. Ça ne devait pas l'affecter tant que ça. Pas à première vue. Mais Jordan continuait de l'observer de cet air songeur, un peu ailleurs, et pourtant étrangement concentré. Il reprit son sérieux, l'interrogeant du regard, mais elle n'ajouta rien. « Alex a eu une nuit agitée. » Elle haussa les sourcils, le visage impassible, fermé, le regard insistant, croisant le sien. Ils s'observaient, se jaugeaient. Il sembla finalement céder. « Plusieurs nuits en fait. Quasiment toute la semaine. » Jordan baissa les yeux sur sa main, recommençant à jouer avec des brins d'herbe. Ses yeux, dans le vague, regardaient sans voir. Des idées lui traversaient l'esprit. Chacune chevauchant l'autre, se contredisant à chaque fois. Devenait-elle complètement insensée ? Non, évidemment. La réponse évidente était qu'elle l'avait toujours été. Elle se découvrait simplement de nouveaux accès de folie, ou de témérité. Peut-être des deux. Elle retournait ses réflexions dans tous les sens, se faisait violence pour que les doutes ne se dessinent pas sur son visage. Mais tout fut interrompu lorsque Neel posa sa main sur sa joue, descendant lentement, caressant du bout des doigts ses lèvres puis son menton. Jordan releva les yeux, mordant à nouveau sa lèvre, le regard ferme. De sa main, elle prit celle de Neel. « J'ai pensé à quelque chose... » Les lèvres pincées, le regard soudain plus doux, elle déplaça sa main le long de son bras, jusqu'à ce qu'elle parvienne à son t-shirt, avec lequel elle joua inconsciemment, comme elle l'avait fait précédemment avec un brin d'herbe ou une fleur. Ses yeux, cependant, n'avaient pas quitté son regard. « Il y a de la place chez moi pour une deuxième personne. » Elle sondait ses réactions avec attention, prenant garde au moindre tressaillement, au moindre sourire ou clignement des yeux. Mais il paraissait tout aussi impassible qu'auparavant. « Tu pourrais venir. Au moins le temps de trouver un autre endroit. » Un silence s'installa, plus intense qu'elle ne l'aurait souhaité, mais à la fois complice, compréhensif. Pourtant, elle se sentit obligée de le briser de façon plus détendue, moins engagée peut-être. « Tu serais moins dérangé par les nuits agitées de quelqu'un d'autre. » « J'aurai droit au canapé ? » Un sourire vint s'installer sur ses lèvres et Jordan se laissa aller à en faire de même. « Bien sûr que non. » Elle n'eut pas besoin de préciser, il avait très bien compris ce qu'elle voulait dire. « T'as oublié les ronflements ? » « C'est un risque que je suis prête à courir. » « Pas sûr que ton lit soit assez grand. » « On se serrera. » Il se rapprocha. Leurs visages étaient très proches, leurs fronts se touchaient presque. Jordan faisait encore courir sa main sur son t-shirt, avec lenteur, ne le lâchant pourtant plus des yeux. Lorsqu'ils brisèrent à nouveau le silence, leurs voix n'étaient plus que murmure. « Je suis quelqu'un de très envahissant. » « J'ai envie de penser que je me sacrifie pour la bonne cause. » Il posa sa main avec douceur sur sa joue, parcourut son visage, descendant sur sa nuque, l'attirant vers lui. Jordan se laissa approcher, frôlant ses lèvres sans rien faire durant quelques instants, laissant leurs bouches goûter aux saveurs de l'autre, laissant leurs souffles se mêler. Puis elle déposa un baiser auquel il répondit tendrement. Sans le savoir, ils venaient de sceller leur avenir commun. Un avenir qui se révèlerait probablement plus haut en couleur qu'ils ne le prévoyaient. Plus chaotique et truffé d'obstacles qu'ils ne le pensaient. Ce n'était pas une histoire d'amour qui commençait, mais un périple passionné, digne de romans écris par des fous. Ils s'engageaient à l'aveuglette. Mais il était trop tard pour revenir en arrière. Il étaient déjà dans la merde.

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 2ntv1xz

(c) misery angel

PART 7.

Je veux rester seul
Et plusieurs à la fois
Partager mon histoire
Et même la garder pour moi.
Je cours

| Ska Nerfs |

___uc.

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 90tu06

PART 8.

les femmes font les pires folies pour allumer une passion et prennent la fuite devant l'incendie.

| laure d’abrantès |

tricky - hell is around the corner

octobre 2008
quartier, londres
local des rainbow warriors
- dereck johnson -

Les lumières dansaient devant ses yeux, lueurs volatiles, inattendues. Une musique l'entraînait dans une ambiance endiablée, les basses s'insinuaient en elle, battaient plus vite que son rythme cardiaque, à contre temps. Une chaleur oppressante régnait dans la pièce. Un flot de personnes qu'elle n'avait jamais vus s'agitaient en tout sens, se laissaient emporter par le son qui envahissait la pièce. Une vaste marée humaine qui remuait telle une vague, en totale harmonie. Quelque chose lui brouillait la vue, quelque chose entre la fatigue et l'alcool. L'adrénaline ne baissait pourtant pas, elle se déhanchait en rythme, suivant le courant, marquant le tempo d'un battement de tête. Les minutes défilaient à vive allure, puis les heures. Les musiques se suivaient et semblaient se ressembler. Tout vibrait autour d'elle, les murs, les gens, elle, lui, eux. L'after, disait-on. Après le concert, encore plus d'ambiance, jusqu'au bout de la nuit, jusqu'au petit matin. Jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus. Ils avaient vidé toute leur énergie sur scène. Visiblement, ils en avaient encore largement assez en magasin. L'entrepôt qui avait vu naître leurs premières répétitions, leurs premiers concerts, voilà qu'il était bondé, une souris n'aurait pas pu s'y faufiler. Jordan se retrouvait cloisonnée entre deux inconnus, menant la danse. Ils se rapprochaient, tentaient un sourire plein de charme, ou un geste dans sa direction. Mais elle se faisait prude, puis aguicheuse. Et à nouveau, elle affichait un air d'innocence. Elle déambulait de la piste de danse au bar, puis du bar à la piste de danse. Éméchée, motivée malgré tout. Elle s'imprégnait de l'ambiance, plus encore qu'elle ne s'imprégnait de tout cet alcool. Elle s'enivrait de la musique bien plus que du reste. Une sensation de plénitude l'envahissait, elle se sentait loin de tout. Elle se sentait survoler la salle, tous ces autres, sans qu'on ne puisse l'atteindre. Et tout paraissait étrangement et délicieusement irréel. Ses pas la menèrent une fois de plus près du bar. Le jeune homme qui la servit tenta à son tour une approche. Quelques familiarités, deux ou trois plaisanteries ayant pour but de casser la glace, un regard insistant et un sourire qui se voulait charmeur. Il devait s'appeler Jack, ou Mike. Ça avait peu d'importance. Et il était brun, peut-être châtain clair, voire blond. Tout cela semblait si futile. De toute manière, elle ne serait plus amenée à le revoir. Il paraissait pourtant à son goût, se montrait poli et plein d'humour. De plus, physiquement agréable à observer. Mais elle ne resta pas plus de quelques infimes minutes avec lui. Le temps d'échanger un rire sincère, quelques banalités d'usage, puis quelque chose vint troubler ce moment. Quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Il s'était avancé, s'était rapproché. Elle sentait sa présence derrière elle, frissonna lorsque ses lèvres laissèrent échapper un murmure au creux de son oreille. « Le barman, sérieusement ? C'est pas un peu trop facile ? » Jordan tourna la tête, posa les yeux sur ce sourire insolent et ce regard sournois. Dereck fit un pas en avant, s'appuyant à son tour sur le comptoir. Ses yeux se posèrent sur le barman, de façon éloquente. Et celui-ci déguerpit sans demander son reste, conscient qu'il avait laissé passer sa chance. Elle observait la scène sans rien dire, et quand il tourna à nouveau son regard sur elle, elle porta simplement son verre à ses lèvres, sans le quitter des yeux. Un air de malice les illuminait, tandis que le reste de son visage restait relativement neutre. « Il était sympa tu sais. Le barman. » Il sourcilla, amusé, tandis qu'elle terminait son verre d'une traite. Puis elle le jaugea du regard. « Aucune fille à ton goût ce soir ? » reprit-elle d'un air qu'elle rendit plus provoquant. Il haussa les épaules, presque blasé, un air faussement innocent sur le visage. « Pas ce soir non. Mais je garde leurs numéros, on sait jamais. » Ce fut à son tour de prendre un air amusé. Puis elle se rapprocha, la démarche féline, le regard assuré. « Tu viens danser alors ? » Il laissa courir ses yeux sur elle, des pieds à la tête, lentement, faisant mine de réfléchir, les lèvres étirées en un sourire sardonique.

Tous deux se dirigèrent finalement vers la piste de danse, emportés par le rythme, dans un corps à corps enivré, endiablé. Tout autour était brouillé. Jordan se sentait pourtant bien plus éveillée qu'auparavant, plus consciente de tout. Consciente que leur petit jeu, leur innocent flirt quotidien, n'avait plus rien avoir avec ce qu'il se passait au même moment. C'était un jeu dangereux, un pas de valse au bord d'un précipice. Il suffisait d'un peu trop d'engouement, d'un faux pas dans la mauvaise direction, et la chute était assurée. Dereck avait toujours été un ami. Rien qu'un ami ? Bien entendu. Leurs petits airs de séduction n'étaient qu'un amusement comme un autre, ce n'était rien d'important. Mais bien que ses pensées étaient parfaitement claires à ce sujet, ses gestes, eux, ne semblaient pas être au courant. Ils étaient proches, bien trop proches. Une main sur la hanche, l'autre posée sur l'épaule. Un regard échangé, un désir inavoué, aucun mot prononcé. Et la tension montait, la chaleur et l'envie s'insinuaient, tel un serpent pernicieux. Ils avaient déjà un pied dans le vide, le reste suivrait bientôt. Tout tournait, tournait, tournait encore, dans une ronde infinie. Le vide les entourait, le néant. Plus rien les atteignait. Et leurs mouvements s'harmonisaient à la perfection. Jordan n'y voyait plus clair, tout n'était que brouillard, mélange de couleurs floues et de silhouettes lointaines. Il lui fallait reprendre ses esprits, revenir sur terre un instant. Tout stopper avant que ce soit trop tard. Mais la raison fait très souvent faux bond dans ces instants, lucidité ou pas, consciente de ce qu'il se passait ou non, c'était le corps qui menait la danse, tandis que la réflexion était jetée aux oubliettes. Ils se rapprochèrent encore, son torse contre le sien, les yeux dans les yeux, leurs souffles se mêlant. Mais quelque chose se passa à ce moment. Une lueur de lucidité. Jordan s'arrêta soudain, reculant d'un pas, lèvres légèrement pincées, gestes fébriles. « Il faut que j'aille... » Elle ne termina pas sa phrase, se dirigeant directement du côté des toilettes. Elle se faufilait parmi la foule, la démarche peu sûre, le regard oscillant. La musique envahissait ses tympans, sa vision était trouble. Mais elle ne passa pas les portes devant lesquelles des dizaines de personnes attendaient. Elle prit la direction de cette entrée plus éloignée, qu'aucun n'avait l'autorisation de pénétrer, si ce n'est les employés et les artistes. Qui menait à un couloir qu'on pouvait appeler coulisses, loges. L'envers du décor en somme. Ces lieux que peu pouvaient arpenter. Jordan appuya sur la poignée et entra en trombe dans le couloir sombre. Une fois la porte refermée, la musique se fit simplement écho, le son était étouffé. Le cœur battant, il lui fallut quelques secondes afin de s'habituer à l'obscurité, à ce soudain silence qu'elle sentait vibrer autour d'elle. D'un pas incertain, elle s'avança, prenant la direction de leur loge, leur petit salon. Elle y fut rapidement, ne croisa personne sur sa route. Tous faisaient encore la fête dans la pièce qu'elle venait de quitter. D'un geste, elle actionna l'interrupteur, éclairant les lieux, l'éblouissant soudain, malgré la faible intensité de la lumière. Ses pas la menèrent machinalement sur le canapé où elle s'affala, basculant sa tête en arrière contre le dossier, étalant ensuite ses jambes sur la table basse.

Plusieurs minutes passèrent, minutes qui semblèrent infiniment plus longues. Jordan avait du mal à prendre conscience de ce qui arrivait. Son esprit n'était pas clair, il était même carrément embrouillé. Avec des gestes fébriles, elle sortit de ses poches de quoi se rouler une cigarette. Elle semblait avoir perdu toute assurance dans ce qu'elle faisait, ses réflexions encore tournées sur les instants précédents. Elle actionna son briquet, alluma la cigarette qu'elle avait coincée entre ses lèvres, aspirant lentement la fumée, espérant que ça l'apaiserait. Les yeux fermés, elle s'adossa à nouveau sur le canapé, pensant goûter un moment de répit, mais la poignée de la porte grinça, celle-ci s'ouvrit avec lenteur, des pas pénétrèrent dans la pièce. Elle garda ses paupières closes, laissant la fumée s'échapper doucement de ses lèvres. Puis elle entendit la porte se refermer, les pas s'approcher. Et un mouvement tout proche lui indiqua que cette personne s'était assise à ses côtés. Quelques secondes se suivirent dans un silence total, les basses de la musique leur parvenaient encore, comme un lointain écho, comme venant de très loin. Elle finit par ouvrir les yeux, puis porta son regard sur lui, qui l'observait avec attention. « Tout va bien ? » Jordan aspira une nouvelle bouffée de nicotine, puis écrasa la cigarette au milieu des autres mégots entassés dans le cendrier. Se mordant la lèvre inférieure, elle soutint finalement son regard, plus intensément encore. « J'avais besoin d'air. » Elle l'observait, d'un œil incertain. Arrêtait son regard sur sa chemise entrouverte, sur ses cheveux légèrement décoiffés, sur la sueur qui perlait sur son front, sur ses lèvres gourmandes, sur ses yeux fixés sur elle. Dereck se rapprocha, lentement, s'attendant probablement à ce qu'elle s'éloigne. Mais elle resta immobile, le visage impassible, le regard perdu durant quelques instants. Puis se reprenant, s'avança à son tour. Il passa sa main avec douceur le long de sa tempe, puis de sa joue. Un frisson lui parcourut l'échine, son cœur dut manquer un battement tandis qu'elle inspirait profondément. Conséquence due à ce désir, à l'excitation, le tout provoqué par cette envie d'interdit, de danger. Ses lèvres vinrent finalement se poser sur les siennes dans un baiser tout d'abord timide, puis plus engagé, plus avide. La tension qui s'était installée, toute cette envie refoulée, le barrage avait finalement cédé. Ils tombaient cette fois en chute libre. Elle passa ses mains sur sa nuque, dans ses cheveux, tandis qu'il se penchait sur elle, l'obligeant à s'allonger sur le canapé. Leurs lèvres restèrent scellées tout ce temps, leurs mains se découvraient dans des gestes fébriles. Il descendit ses baisers sur sa nuque, tout aussi tendrement qu'il le lui était possible, considérant leur avidité réciproque. Et il se fallut d'une seconde, d'un instant infime, d'un regard, pour que tout cela s'arrête. Jordan avec tourné les yeux une fraction de seconde. Ils s'étaient posés sur le blouse de Neel, suspendu à une chaise, plus loin dans son champs de vision. Il avait suffit de ce détail, de cet unique moment. Dans le cas contraire, la nuit aurait continué sur sa lancée. Ils se seraient écrasés au fond du précipice. Mais ce simple blouson avait freiné leur chute. Du moins, il avait freiné Jordan, qui s'immobilisa soudain, sans signe avant coureur. Dereck remarqua le changement d'attitude. Il releva lentement les yeux, sourcils froncés, l'interrogeant du regard. Jordan fut incapable de prononcer un mot. Elle gardait la bouche entrouverte, le regard dans le vide, une once de malaise dessinée sur ses traits. Puis elle se reprit. Son regard se fit soudain plus dur, plus froid d'une certaine manière, mais gardant un côté séducteur. Elle se redressa lentement, le forçant à se reculer un peu. Il semblait hésitant sur la manière de réagir. Peu surprenant, Jordan passait du chaud au froid sans prévenir, pour la deuxième fois de la soirée. De quoi déstabiliser à peu près n'importe qui. Jordan affichait un air quasiment impassible, gardant pourtant à la fois un sourire désolé et un regard charmeur, intense. Elle se releva sous le regard plus qu'intrigué de Dereck, se pencha doucement vers lui puis déposa un baiser sur le coin des lèvres avant de lui susurrer à l'oreille : « Passe une bonne nuit. » Elle se détourna ensuite, prit ses affaires au passage et sortit sans un regard en arrière, encore troublée par les évènements, encore troublée par ces pensées qui l'assaillaient. Elle-même ne s'était pas attendue à cette réaction. Elle-même avait imaginé des dizaines de scénarios sans que celui-ci ne lui traverse l'esprit. Mais probablement que c'était mieux ainsi. Probablement valait-il mieux qu'elle rentre directement et qu'elle ne repense plus à cette soirée. Et que tous les deux oublient ce qu'il s'était passé. Oui, avec un peu de chance, tout reviendrait à la normale. Avec un peu de chance...

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 33nkqrd

PART 9.

je suis comme un enfant qui essaie de soulever le voile. j'ai les ongles tout dégueulasses à force de gratter le réel.

| henri loevenbruck |

philip glass - religion

- sally salisbury -

Un vent glacé lui mordait les mains. Et ses chaussures trouées laissaient filtrer l'eau. Chaussettes détrempées, pieds glacés. Mais elle continuait à sauter dans les flaques d'eau boueuse qui l'entouraient. Ses vêtements allaient être sales, voire irrécupérable. Tant pis, son père n'aurait qu'à crier, elle resterait sourde à ses menaces. Un nouveau saut, une nouvelle éclaboussure. Elle avait de l'eau jusqu'aux genoux, de la boue plein les jambes. Mais ses yeux scintillaient d'un bonheur éphémère, d'une innocence bientôt perdue. Un rire retentit un peu plus loin. Le regard de la petite fille s'y dirigea immédiatement, un sourire aux lèvres, un air de malice enfantine dessiné sur ses traits fins. Elle décolla ses pieds de la boue dans laquelle elle s'enfonçait puis sautilla jusqu'à cette jeune fille, debout devant elle. Ses cheveux étaient longs, blonds, totalement emmêlés et encadraient un visage pâle, plus pâle que d'ordinaire. Ses yeux la regardaient sans la voir, le sourire qu'elle esquissait ne semblait pas être réel. Simplement l'ombre d'un sourire autrefois sincère et enjoué. Pourtant, c'était bien elle qui avait ri. Son regard se fit insolent, amusé. Peut-être provocateur. La petite Jordan, âgée de onze ans, sourit à son tour. Elle était heureuse de la voir. Sa journée allait être plus vivable, moins insupportable. Le petit fille aux cheveux blonds lui tendit la main et elle la prit sans hésiter. « On va où aujourd'hui ? » Regard brillant de curiosité et d'excitation. Envie de s'échapper. Elle oubliait déjà qu'elle avait laissé sa mère endormie sur le canapé, une bouteille de gin à la main, du noir sur les joues d'avoir trop pleuré. Elle oubliait aussi que son père serait déjà rentré quand elle reviendrait. Elle oubliait que c'était la fin de la semaine, qu'il était bientôt à cours de poudre magique et qu'il ferait ressentir son manque à sa fille. Elle oubliait tout ça et restait focalisée sur son amie. « Tu verras quand on y sera. » Sourire espiègle. Regard complice. Elle traversa la route, entraînant une Jordan intriguée et impatiente. Leurs pas se firent plus rapides, elles se mirent alors à courir. À courir aussi vite qu'elles le pouvaient. Leurs visages s'éclairaient, elles s'évadaient. Les gens les regardaient passer avec étonnement, les sourcils froncés, le regard sérieux des adultes qui ne comprennent pas pourquoi les enfants sont obligés d'être si excités, d'être si exaspérants. Mais voilà, elles s'en moquaient. Elles en riaient, elles poussaient quelques personnes, rien que pour les entendre râler, rien que pour voir leur mine renfrognée et en rire un peu plus. Tout ça n'était qu'un jeu. Elles envoyaient tout balader. Tout et tout le monde. Plus rien ne comptait. Plus rien n'avait d'importance. Elles auraient préféré envoyer leurs vies balader, mais c'était bien la seule chose qu'elles étaient incapable de faire. Alors voilà, elles riaient, couraient, dansaient, sautaient, insultaient, riaient encore pour s'empêcher de pleurer et elles se forçaient à ne plus penser. Parce que ça, c'était le truc des adultes. Parce que ça faisait mal et que ça faisait pleurer. Jordan préférait se laisser guider par son amie. Après tout, elle était plus âgée qu'elle. Elle était aussi plus intelligente. Plus jolie. Plus débrouillarde. Plus courageuse. Elle était tout ça à la fois et Jordan l'admirait pour ça. Jordan l'aimait comme sa sœur. Jordan avait besoin d'elle plus que jamais. Et c'est pourquoi elle la suivrait partout où elle irait.

Leur petite escapade dura quelques minutes. Puis leurs pas ralentirent. Lena s'arrêta alors devant un parc, une espèce de petite esplanade dont les jeux pour enfants avaient été vandalisés par des plus grands. L'une des balançoires ne tenait plus que par une chaîne. Tous les supports étaient remplis de tags, représentant des insultes, ou des cœurs dans les quels étaient gravés deux initiales. Le toboggan était en piteux état, son rouge autrefois si vif était si délavé qu'on ne pouvait savoir s'il était désormais orange ou rose. Tout était détrempé à cause de la pluie de la veille, quant aux pelouses, plus personne n'en prenait soin. C'était un spectacle déprimant, mais ça ne paraissait pas atteindre les deux jeune fille. Jordan leva les yeux vers son amie, sourcils froncés, une moue boudeuse sur son visage angélique. « Pourquoi tu m'amènes ici ? Je le connais déjà le parc de la vieille Sophie. » La vieille Sophie. C'était cette petite vieille, assise sur un banc à moitié démonté, et qui chantonnait des berceuses dont elle mélangeait les paroles. Ses cheveux raides et d'un blanc sale tombaient piètrement sur ses épaules voutées. On disait qu'elle était folle, car elle passait son temps dans ce parc. Certains disaient qu'elle restait là pour attendre son petit garçon, qu'elle a perdu il y a bien longtemps. D'autres prétendaient qu'elle mangeait les enfants trop imprudents qui l'approchaient, et que les berceuses servaient à leur faire baisser la garde. Une chose était sûre, elle n'avait plus toute sa tête. Jordan était déjà venue plusieurs fois ici, en compagnie de Lena. Les deux fortes têtes, dans un accès de témérité, étaient allées parler à la vieille femme qui leur avait alors offert de vieux biscuits rassis qu'elle gardait au fond de sa poche. Elle faisait pitié à voir, et Jordan était quelque peu intimidée par elle. Mais ça ne semblait pas déranger son amie qui lui adressa un regard encourageant, un mince sourire sur les lèvres. « Je sais. Je voulais juste te faire essayer quelque chose. Attend-moi ici. » Elle lui lâcha la main et Jordan resta seule à l'attendre. Son regard suivait la petite silhouette gracile et pourtant si sûre d'elle. Étonnée, elle la vit parler avec la vieille Sophie. Quelques secondes s'écoulèrent, puis elle revint, visiblement enjouée. Elle entraîna alors Jordan avant que celle-ci n'ait pu poser la moindre question. D'un mouvement vif, Lena monta à l'échelle qui menait au sommet du toboggan. Là, elle s'arrêta et s'assit à l'intérieur de la pseudo cabane qui servait de plateforme de départ. Intriguée, elle la suivit et s'assit en face d'elle. Son amie sortait déjà de sa poche un vieux paquet de cigarettes humide et froissé. Quelques petits tubes de nicotines y étaient encore amassés. Un sourire se dessina sur ses lèvres. « J'les ai piquées à ma mère. Elle a rien vu. » Jordan eut une moue entre l'admiration et l'inquiétude. Son regard se posa sur les alentours, sachant qu'il n'y avait jamais personne dans ces rues en général. Pourtant, elle n'était pas tranquille. Elle ne dit rien cependant et regarda Lena prendre une petite boîte d'allumettes de sa poche. Apparemment, c'était celle de la vielle Sophie. Elle porta alors une cigarette à ses lèvres puis craqua une allumette. À peine eut-elle aspiré une bouffée qu'elle fut prise d'une quinte de toux. Néanmoins, elle réitéra son geste, une fois, puis encore une. Et elle tendit la cigarette à Jordan. « Tiens, essaie. » L'hésitation se voyait sur son visage, mais elle finit par la prendre et la caler entre ses lèvres, d'un geste peu assuré. Elle aspira alors une grande bouffée. La fumée lui piqua la gorge et elle toussa à son tour. Le goût de la cigarette s'immisçait déjà sur ses lèvres et sa langue. Un air de dégoût passa sur son visage et Lena éclata d'un grand rire. « Tu devrais voir ta tête ! » Jordan lui rendit la cigarette. « C'est dégueulasse ton truc. Pourquoi les adultes en fument tout l'temps ? » Son amie haussa les épaules en tirant une nouvelle bouffée. Une toux moins prononcée que la précédente se fit entendre. « Sais pas. Paraît que si tu commences, tu peux plus t'arrêter. » « Alors je commencerai pas. » Sa voix était catégorique, mais un sourire traversa le visage de la petite Lena qui balança la cigarette par dessus la barrière.

Son regard revint alors se poser sur Jordan et une moue perplexe se dessina sur ses traits. Ses yeux fixaient le bras nu de son amie qui avait retroussé ses manches. Un hématome violacé grand comme une balle de ping-pong le recouvrait, juste au-dessus de son coude. Jordan remarqua où son regard se portait et elle remit sa manche en place, un sourire faussement rassurant sur ses fines lèvres pâles. « T'en fais pas, dans deux jours on verra plus rien. » Lena secoua la tête, comme pour dire qu'elle se fichait de ça. Elle paraissait vraiment inquiète, comme à chaque fois qu'elle revenait avec un nouveau bleu. Mais Jordan ne comprenait pas pourquoi elle se faisait tant de soucis, elle qui vivait parfois bien pire de son côté. Néanmoins, bien qu'elle n'osait l'avouer, elle était heureuse que quelqu'un s'inquiète enfin pour elle. Lena lui prit la main, un air aventureux dans le regard, comme lors de ces moments où des idées fantaisistes lui venaient à l'esprit. Mais ses yeux brillaient d'une lueur qu'elle ne lui avait jamais vue. « Jo, un jour on partira toutes les deux. Loin d'ici. Et on sera heureuses ! » C'était un espoir qui l'habitait depuis longtemps déjà, même si Jordan pensait parfois ce projet irréalisable. Après tout, elle n'était qu'une enfant. Mais le fait que Lena paraisse aussi sûre de ce qu'elle disait, un brin de courage remonta peu à peu en elle et elle se prit à sourire sincèrement à cette pensée follement alléchante. « Et on sera toutes les deux. » Ce n'était pas une question. Mais la petite fille aux cheveux blonds sourit de plus belle. « Promis. »

Quelque chose lui enserra la poitrine. L'obscurité tombait autour d'elles, les ténèbres envahissaient l'espace. Jordan voyait Lena disparaître peu à peu sous ses yeux. Plus elle tentait de la retenir, plus elle s'échappait, tel un filet de fumée. Puis il ne resta plus rien, plus rien d'autre qu'un noir oppressant, qu'un silence pesant. Un néant angoissant qui ne voulait plus la lâcher. Elle avait beau se débattre, il faisait toujours aussi sombre. Elle ferma alors les yeux, terrifiée à l'idée d'être coincée dans cet endroit inquiétant. Mais lorsqu'elle les rouvrit, l'endroit avait changé. Et elle aussi. Elle était dans une rue, une rue familière. Et elle courait...

il y a des cauchemars qui puent fantastiquement le réel.

| henri loevenbruck |

Elle courait à en perdre haleine, ses jambes la portaient, malgré la pluie battante, malgré la brise glacée, malgré l'angoisse qui l'envahissait. Elle avait un mauvais pressentiment, il fallait qu'elle aille voir par elle-même. Il fallait qu'elle soit sûre. Jordan avait alors treize ans. Depuis plusieurs jours, elle était sans nouvelles. Et malgré son envie de croire, d'espérer, elle savait. Elle savait que quelque chose s'était passé. Elle savait qu'elle serait à nouveau seule. Ses pas la menèrent automatiquement à l'endroit qu'elle cherchait. Une vieille bâtisse, non loin d'où elle vivait. Celle-ci aussi semblait tomber en morceaux, mais l'apparence délabrée du bâtiment ne la gênait plus depuis bien longtemps désormais. Jordan poussa le battant de la porte d'un coup de coude et traversa le hall d'entrée. Sa course la mena dans les escaliers où elle bouscula une locataire visiblement éméchée qui ne comprit pas ce qui l'avait poussée contre le mur aussi soudainement. Les secondes passaient, les minutes, et elle commençait à s'essouffler. Jusqu'à ce qu'elle parvienne à l'étage qu'elle cherchait. La porte d'entrée en bois terni était entrouverte, il n'y avait plus aucun nom sous la sonnette fracassée. Le cœur battant, elle poussa la porte et pénétra dans le petit appartement miteux. Quelque chose lui nous la gorge et enserra sa poitrine. Quelque chose qui ressemblait à un vide indescriptible. Les pièces autrefois emplies de meubles totalement dépareillés étaient désormais désertes. Le parquet grinçait sous ses pas. Autour d'elle, la peinture sur les murs s'écaillait, de l'humidité paraissait suinter du plafond fissuré. Une faible odeur de moisissure lui emplissait les narines, les volets mal fermés frappaient la vitre sous les assauts du vent. Mais en dehors de ce faible bruit de claquement irrégulier, le silence régnait dans l'appartement. Jordan se sentit submergée d'une sensation insupportable, à mi-chemin entre le désespoir et la colère. Non, elle ne pouvait pas être partie sans la prévenir. Elle ne pouvait pas l'avoir abandonnée. Elle avait promis. Pourtant, tout était désert. Rien n'avait été laissé derrière. Jordan pressa le pas en direction de ce qui avait autrefois été sa chambre. Cette pièce aussi étais vide. Totalement et désespérément vide. Quelque chose lui piquait les yeux, des larmes lui brouillaient la vue. Une détresse sans nom l'envahit soudain. Elle retomba à genoux sur le parquet usé et les larmes commencèrent à rouler sur ses joues, puis à tomber sans bruit sur le sol.

Un craquement retentit alors derrière elle. Jordan releva brusquement la tête. Son cœur avait fait un bon. « Lena ? » Elle s'était alors relevée et avait passé la porte. Mais tout avait basculé. Elle n'était plus dans son appartement. Elle était bien plus âgée désormais et se trouvait sur une petite place déserte au bord de la Tamise. Là où elles se retrouvaient souvent lorsqu'elles étaient petites. Elles s'amusaient à y langer des pierres dans l'eau ou à crier sur les passagers des bateaux qui passaient. Mais à ce moment-là, tout ça était bien loin. Une silhouette se trouvait devant elle. Adulte désormais, les cheveux blonds, toujours emmêlés, flottant au vent comme une bannière. Son regard était plus vide encore lorsqu'elle l'observait. Son teint était toujours aussi pâle. Jordan esquissa un sourire peu assuré. « Lena ? » La jeune femme blonde eut une moue sardonique, peu engageante. Ses yeux lui offraient le regard le plus noir qu'elle ait jamais vu pour des iris aussi limpides. « Je connais pas de Lena. Moi c'est Sally. » Un autre coup dans la poitrine. Jordan se sentit encore plus désemparée. Ses lèvres tremblaient, la plaie était réouverte et elle saignait abondamment. Elle la regarda sans comprendre. « Pourquoi tu es partie ? » La dénommée Sally n'eut aucune réaction. Elle se contenta de la fixer, puis se retourna et s'éloigna. Jordan voulut lui courir après, mais elle se sentait bloquée, paralysée. Elle ne pouvait plus faire un seul mouvement. La terreur s'afficha dans ses prunelles d'azur alors qu'elle hurlait. « Reviens ! M'abandonne pas ! Lena...LENA ! ... »

L'obscurité envahit à nouveau les alentours. Elle se débattait, encore et encore. Et elle hurlait à s'en casser la voix. Mais elle n'entendait même plus celle-ci, tant les ténèbres et le silence étaient pénétrants. Jordan se sentit alors tomber, une chute vertigineuse, sans fin. Jusqu'à ce que tout s'arrête et qu'elle ouvre les yeux...

Elle était allongée dans son lit, dans son appartement de Covent Garden. Le cœur battant, de la sueur perlait sur son front. Sa chambre était encore plongée dans le noir. Un regard sur son réveil, il était à peine quatre heures du matin. Elle fit son possible pour se calme, se coucha sur son autre côté, puis se rendormit finalement, d'un sommeil cette fois paisible.

▬ T H E R E A L P A R T .

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(mélanie à la base mais qu'est-ce qu'on s'en fout xD))

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mais je t'aime quand même

Effectivement je le mérite. Mais bon, c'est ça d'être admin et de travailler dur jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 353474

((chut Louve jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 8686

))

**Invité** Invité

MELIE ELLE A RIEN FOUTU !

~~ELLE AVAIT TOUT LE TEMPS DE FAIRE SA FICHE~~

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Tu me laissais rien faire d'autre en même temps. jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 59562

Bouhou, pauvre de moi, pi j'avais pas l'temps, j'étais en déprime-attitude ces dernières semaines jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 495919

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Oui je sais, je gère mes coups jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 353474

(quoi, c'est pas c'que tu voulais dire ? jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 8686

)

CAR MELIE ELLE GERE MEME SANS RIEN FAIRE . QU'ON L'AIME

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Jordan Kennedy a écrit:: Oui je sais, je gère mes coups (quoi, c'est pas c'que tu voulais dire ? )

J'vous aime jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 59562

Évidemment que c'est pervers quand je parle avec toi, mais j'dois mal m'être exprimée. Bref, on s'en fout, il est tard, j'vais d'ailleurs bientôt aller rejoindre la 2ème dimension (muahaha)

Et euh...j'vous aime, j'vous l'ai déjà dit ? xD jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 709890

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 709890

**Invité** Invité

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SUPER

jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 729666

Ah ben elle se remplit, elle se remplit gentiment. Même que j'ai bientôt fini ma 2ème anecdote et qu'après je pourrai faire leur rencontre jordan kennedy | je veux vivre pour mieux mourir 59562

Tu vois, j'ai bien fait finalement de me forcer à faire le début même si je suis dans les vapes, j'y suis presque xD

Et moi j'veux le début de la tienne. Quand c'est que tu nous postes ça hein ? ^^

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