I. En voulant s'agrandir, souvent on se détruit.

On entendait plus que ma respiration saccadée et le bruit de mes talons qui claquaient contre le trottoir. Aujourd'hui aurait dû être la plus belle journée de ma vie, et pourtant j'avais vécu un véritable enfer. C'était le jour de mes dix-huit ans, le jour de ma majorité, le jour du décès de ma mère. Je venais de sortir de l'hôpital où le chirurgien m'avait annoncé avec un faux air de compassion, qu'il n'avait rien pu faire. Après avoir passée toute la journée à attendre, à espérer que ma mère tienne le coup, à penser que bientôt j'allais pouvoir fêter mon anniversaire le coeur léger, à croire qu'on allait tous passer à autre chose, à s'imaginer bêtement que tout irait pour le mieux, je peux vous assurez, que ce genre de phrase vous détruit le coeur. Ca a détruit le mien en tout cas, et celui de mon père aussi. Il me l'a bien fait comprendre ...

Je m'arrêtais brusquement au milieu de la rue et essuyai négligemment les larmes qui coulaient le long de mes joues. En l'espace d'une journée j'avais perdu ma mère et mon père. Triste anniversaire. Comment j'ai perdu mon père ? Et bien, au moment où il m'a clairement dit qu'il ne voulait plus jamais revoir celle qui était responsable de la mort de sa femme. Oui il parlait bien de moi, et je ne pouvais pas le nier, j'étais la seule responsable. C'est moi qui avait demandé à ma mère de se dépêcher de rentrer du travail pour pouvoir m'emmener à ma fête, moi qui lui avait téléphoné alors qu'elle était au volant, moi encore qui l'avait déconcentré et empêché d'anticiper un virage. Maintenant il ne me restait plus rien, je savais que mon père ne se calmerait pas et qu'il n'avait pas juste dit ça sur le coup de la colère et de la tristesse. De toute façon, il ne m'avait jamais vraiment aimé, il ne voulait pas d'enfant et il m'avait fais sentir tout au long de me vie quel poids je représentais pour lui. Néanmoins j'avais toujours espéré qu'il s'attache un minimum à moi. A près tout, qu'il le veuille ou non, j'étais sa fille, ce n'était pas rien ça, il y aurait dû y avoir de l'affection de sa part ... Mais maintenant, j'étais grande, il ne voulait plus me voir, je n'avais plus besoin de lui. J'allais devoir trouver un moyen de me débrouiller seule.

II. Croire au soleil, même quand il ne brille plus.

Je regardais le paysage défilé à travers le hublot, puis l'avion se mis à décoller. Ca y est, l'heure du nouveau départ avait sonné. Je quittais à tout jamais ma terre natale pour refaire ma vie en Angleterre. La décision de tout plaquer n'a pas été simple à prendre, enfin, même si je dois avouer qu'elle relève plus d'un coup de tête que d'un choix murement réfléchis. Le Danemark ne m'apportait plus rien de bon, et une amie à moi qui vivait à Londres m'avait proposé cette magnifique opportunité. Poussée par l'envie de tout recommencer, j'avais finalement sauté le pas, et tant pis si plus tard j'avais des regrets, on ne vit qu'une fois après tout ...

Le voyage me parut interminable et je fus soulagée de pouvoir enfin marcher librement après ses heures de vol. J'attendis, trop longtemps à mon goût, que ma valise veuille bien montrer le bout de son nez sur les tapis roulants. Dès que je l'aperçus, je me précipitais vers elle pour la récupérer. Mais au même moment une autre main se posa sur mon sac, une main qui ne voulait pas lâcher prise. Et à ce moment là, j'ai eu un réflexe un peu idiot et impulsif. J'ai crié au voleur. Bien que je l'ai prononcé dans ma langue maternelle, les autres voyageurs se sont tout de même retournés, alertés par le cri. L'homme qui tenait ma valise, desserra immédiatement son étreinte. Il me dévisagea, les yeux écarquillés, il me sembla même qu'il se mit à rougir. J'en profitais pour reprendre mon bien, et baissais les yeux, embarrassée par mon comportement un peu abusif. Je m'apprêtais à m'excuser quand il prit la parole. « C'est ma valise ... » Pardon ? Je levai brusquement les yeux vers lui. Il me fallut plusieurs secondes pour réaliser ce qu'il venait de dire. Je jetai un coup d'oeil au sac que je tenais entre les mains, c'était bien le mien pourtant. « Je crains qu'il n'y est un malentendu ... » Il me sourit. Pourquoi me souriait-il bêtement ainsi ? Il s'abaissa pour regarder l'étiquette accroché à la valise. Pas bête ... Il se redressa, le sourire toujours aux lèvres. « Êtes-vous Evan Ryan ? » « Heu non .. » « Et bien c'est moi, alors est-ce que .. ? » Je lui tendis son sac précipitamment, rouge de honte. « Ne vous en faites pas, on va la retrouver votre valise » Il se mit à rire, mais moi je ne voyais rien d'amusant là dedans. Je venais de débarquer dans un pays étranger, j'étais paniquée à l'idée de me débrouiller seule pour aller chez mon amie, et à peine arrivée je volais déjà les affaires des autres, c'était assez gênant. Si je n'étais pas aussi pessimiste, je me serai peut-être rendue compte que je venais de rencontrer un homme plutôt charmant dix minutes après que mon avion est atterrit. En plus d'être charmant, c'était un parfait gentleman, il attendit avec moi pour récupérer ma valise et paya mon trajet en taxi jusqu'à chez mon amie. Notre rencontre était digne de figurer dans les films, j'irai même jusqu'à parler de coup de foudre ...

III. Un malheur n'arrive jamais seul.

Je scrutais le visage d'Evan derrière le volant, assis à mes côtés. Dix ans c'était écoulé depuis notre rencontre, dix ans que j'avais commencé une nouvelle vie, dix ans que j'étais enfin pleinement heureuse. Mon bonheur, je le devais à lui, mon mari, mon oxygène, ma raison de vivre, l'homme de ma vie. J'essayais de trouver un peu de réconfort au fond de ses yeux. Mais il avait le regard rivé sur la route et ne jetai aucun coup d'oeil dans ma direction, je ne pouvais pas lui en vouloir, mais dans mon état d'esprit du moment je considérais ça comme un moyen de m'éviter. Il est vrai que si peu de temps après avoir perdu notre bébé, j'étais devenue très parano. Cette fausse couche m'avait beaucoup affecté, et je ne me sentais pas assez forte pour supporter ça toute seule. Ce drame m'avait rendue très émotive, et je fondais en larme beaucoup trop souvent à mon goût. Il ne fallait pas grand chose pour me faire pleurer, vraiment pas grand chose ... J'avais déjà les larmes aux yeux au moment où j'étais forcée de constater que les yeux de mon mari persistaient à ne pas me regarder. Et l'inévitable arriva, je fus prise d'une crise de sanglot. La suite se passa très vite. Il y eu le visage de mon mari qui se braqua immédiatement vers moi, les klaxons, la fraction de seconde de silence dans la voiture, le choc, le hurlement d'Evan, des secousses, des fracas, des secousses, des fracas, des secousses ... Et puis plus rien.

IV.Vivre est une torture puisque vivre sépare.

Un constat s'imposait. J'étais assise devant la tombe de mon mari, physiquement en bonne santé. Le coeur déchiré, mais j'étais vivante, je respirais toujours. L'homme que j'avais aimé, lui, était mort. Comment le dire autrement ? C'était là, la triste réalité. Il venait de me quitter, lui aussi, comme ma mère de la même manière, il y a quelques années de ça, comme mon père qui avait vu juste en me disant que j'étais responsable, comme mon bébé que j'avais tant espéré et aimé avant qu'il ne vienne et ne quitte ce monde. Oui, le constat s'imposait, les gens mourraient autour de moi. A croire que le destin s'acharnait à m'arracher les personnes qui me rendaient heureuse dès l'instant où je connaissais le bonheur ... J'avais à présent tout perdu, et c'est avec le regard vide et mort, rivé sur ce bloc de pierre, que je décidais de continuer à vivre quand même. A quoi bon mourir ? Je n'avais jamais été le genre de personne à être dépressive et suicidaire. J'allais vivre, jusqu'à ce que je trouve un nouveau sens et un nouveau but à mon existence. N'en déplaise au destin, il aura certainement d'autres personnes à me prendre ...